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Premiers Doutes - Chapitre 12

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Chapitre 12 - Hypothèses Blade

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Hypothèses Blade

Deux chaussures volèrent dans le salon pour aller s’écraser contre le sofa.

Cette soirée passée à la Panthère rose avait été très agréable mais les pieds d’Obéron pesaient une tonne. Malgré des paupières enclines à se fermer définitivement pour la nuit, il alla activer le module de commande vocale de Gar.

Cette histoire d’antécorrespondance monopolisait ses pensées. La réaction étrange de Gérald à l’évocation de l’annonce-virus l’avait troublé. Il n’avait pu garder le secret devant son meilleur ami mais il ne pensait pas avoir gaffé.

Raphaël fit afficher une grosse horloge analogique sur le mur de droite. Elle marquait 4 heures moins deux. Raphaël luttait pour ne pas s’endormir alors qu’il activait Gar.

Le mur de gauche afficha les réponses tant attendues. À la question " L’Anté dans le monde THAGAMA 2074 AVC est-elle connue du système-expert du club Hypernova ? " Gar avait répondu par la négative. À la question " Origine des photoroïdes : prise réelle ou montage astucieux ? ", Gar répondait par une pirouette : probabilité d’un montage = 46 %, probabilité d’une prise réelle = 54 %. Étant donnée la fiabilité des calculs, autant dire " je ne sais pas " !

Raphaël s’attendait à une telle réponse pour la deuxième question mais il avait préféré la poser quand même. En fait, c’était la première question qui l’intéressait. Hélas la réponse était à peine croyable.

Pourtant Gar ne pouvait se tromper sur ces faits, l’antécorrespondance située l’an 2074 n’était pas encore commercialisée. Le jeu DREAMWAR n’était pas connu par le serveur du syndicat des maisons d’éditions. Et d’après le fichier central du club Hypernova, DREAMWAR ne faisait pas non plus partie des jeux d’antécorrespondance du domaine publique. Ces sources de sources, comme on disait dans le jargon, étaient les meilleurs moteurs de recherches intra/inter et supranet. DREAMWAR n’y était même pas référencé en tant que version béta d’un nouveau jeu. Aucun des mots clefs entrés par Raphaël dans la requête n’avait donné quoi que ce soit qui déplace 5% de pertinence.

L’origine de DREAMWAR était donc un nouveau mystère.

Raphaël n’arrivait pas à s’imaginer comment une seule personne aurait pu créer à elle-seule son décor d’antécorrespondance. Les documents de Crystaléa Lowen-Soissanth étaient d’une qualité bien supérieure à ceux qui étaient fournis par les maisons d’édition d’antécorrespondance classique.

À force de regarder ces documents d’un réalisme ahurissant, une idée complètement saugrenue avait germé dans son esprit. Il n’osait se la formuler tellement elle lui paraissait stupide mais comment faire autrement avec de tels documents en main !

Pas de preuves de montage, ni de retouche, ces photoroïdes semblaient véritablement arrachés au futur ! Raphaël savait pourtant à quel point les techniques modernes de l’image pouvaient abuser l’oeil humain et le mystifier.

Il repensa alors au dernier film en trois dimensions & gravité qu’il était allé voir la semaine passée avec ses amis. Fortement impressionné par cette séance, il s’en souvenait comme si elle avait eu lieu la veille.

Gérald voulait voir à quoi ressemblait la nouvelle technique " 3D+g " et il n’avait pas été déçu !

Ils étaient entrés sur le coup des 3 heures de l’après-midi dans le tout nouveau cinéma " la bulle de cristal ", on y jouait " Bons baisers d’ACKIOR ", un remake du célèbre space-opéra en version omnimax-p4. La séance fut riche en sensations car au moindre mouvement de caméra, la salle hémisphérique géante bougeait entièrement pour reproduire l’effet de la gravité sur les corps. Par moments, Raphaël, comme les six cents autres spectateurs sûrement, vérifiait sa ceinture et les bloque-épaules qui le maintenaient dans son fauteuil.

Le " 3D+g " était une chimère parfaite entre le cinéma Omnimax de sa jeunesse, les simulateurs de vol des parcs d’attraction, type Cinarcade2, et un ascenseur en délire.

Obéron fut fasciné par le travail du réalisateur. Celui-ci s’était ingénié à rassembler dans " Bons baisers d’Ackior " toutes les techniques du cinéma de science-fiction, des plus anciennes aux plus modernes. Maquettes et fonds bleus, infographie dynamique, images de synthèses seules et mélangées à la réalité, studios et extérieurs, acteurs réels et acteurs de synthèse, Caméras à Mouvement Dirigé par Ordinateur et cadrages classiques, un vrai panorama du cinéma de cette fin du XXème siècle ! Le mélange était tellement parfait qu’il lui aurait été très difficile par moments de dire qui de l’ordinateur ou bien des bons vieux cadreurs humains avaient réalisé la séquence.

- Il est 4 h 30, hurla soudain le haut-parleur de Gar au milieu des rêveries de Raphaël.

Totalement surpris, celui-ci poussa un cri à réveiller les voisins et manqua de tomber de son ergofauteuil. Il avait complètement oublié qu’il s’était fixé une limite et qu’il irait se coucher la dite limite passée. Par réflexe il jeta un coup d’oeil sur son bracelet-montre et ne fut pas surpris de voir que Gar était à l’heure.

Poussé soudain par la soif, il se traîna jusque dans la cuisine. Il y faisait bizarrement beaucoup plus froid. Cette saloperie de climatiseur avait encore fait du zèle.

Dans le silence de la nuit, pieds nus sur le carrelage glacé de la cuisine, Obéron sentit tomber sur lui une chape de plomb de solitude. Inconsciemment, son esprit chercha une âme-soeur à qui parler. L’image de Crystaléa lui revint alors en mémoire.

Du terminal de la cuisine, il se mit à consulter les images enregistrées du dossier d’antécorrespondance et rapidement, il trouva son bonheur.

Le portrait de Crystaléa Lowen-Soissanth sous les yeux, Raphaël souffla longuement sur son infusion aux sept plantes.

La seul photoroïde qu’il avait de la belle et fascinante inconnue n’était pas une très bonne compagnie ce soir-là.

Ces documents détenaient la clé du mystère mais leur réalisme était par trop déconcertant. Gar n’était pas un modèle des plus perfectionnés qui soit aussi son incapacité à déterminer si ces photoroïdes étaient une pure invention ou non ne prouvait rien du tout. Son professeur d’informatique avancée ne lui disait-il pas d’ailleurs sans relâche : " l’absence de preuve pour confirmer une hypothèse n’implique pas forcément que l’hypothèse contraire est vraie ! " L’absence de preuve de montage ne signifie donc pas que ces photos sont réelles !

Le système-expert de Gar, branché par l’entremise de Phoebé sur l’intranet du club Hypernova (spécialisé dans la recherche en médiathèque S.F.) avait d’ailleurs émis deux hypothèses :

- soit les informations concernant cette antécorrespondance avaient été dissimulées volontairement.

- soit il n’y avait pas d’information à ce sujet parce que ce décor 2074 d’antécorrespondance n’était utilisé que par C.L-S. et Raphaël Obéron. Mais dans ce cas comment pouvait-on expliquer l’origine de ces photoroïdes ?

- Des textes, ça s’invente mais des photos de ce genre… murmura Raphaël.

Il lui faut forcément un CRAY ou un supercalculateur du même type pour arriver à une telle qualité d’image ! Et tout le monde n’a pas ça chez soi !

Ces documents sont si réalistes que j’en viens à imaginer que Crystaléa pourrait tout aussi bien m’écrire depuis le XXXIe siècle ! s’esclaffa-t-il en manquant de s’étouffer.

- Gar ! Créer note. Titrer cette note par " Éléments à ma connaissance et hypothèses ".

- Prêt ! répondit l’ordinateur, tandis que l’écran du salon affichait une page blanche à l’exception du titre susdit.

- " Un "… Les documents contiennent des plans de la ville et de la région, ils contiennent aussi des photos parmi lesquelles se trouve un seul cliché où figure Crystaléa et ils contiennent également des nouvelles locales.

Ces mots vinrent s’afficher sur l’écran su salon. Le curseur rapide et clignotant vint se replacer automatiquement à la ligne suivante.

" Deux "… Seules les photos sont vraiment troublantes car les plans et les articles de journaux ont pu être facilement créées de toutes pièces.

" Trois "… Seule l’origine des photoroïdes me permettra de déterminer la nature mystérieuse de ma correspondante.

" Quatre "… il se peut que Crystal utilise des documents provenant d’une firme publiant des décors d’antécorrespondance et qui ne sont pas encore officiels : en avant première, par faveur, parce qu’elle les a volés (absurde !), parce qu’elle connaît quelqu’un qui travaille dans une de ces boîtes d’édition, parce qu’elle y travaille elle-même.

Obéron se gratta nerveusement le crâne.

- Mais auquel cas, pourquoi ce mystère autour de cette antécorrespondance unique ? S’il s’agit d’un test de précommercialisation, pourquoi recourir au secret ? C’est vrai, depuis quand pousse-t-on aussi loin l’assurance qualité d’un simple jeu ? Après tout ce n’est pas un médicament, une automobile ou un robot. Décidément, tout cela flaire l’illégalité !

" Je dirais même plus ", j’ai la conviction que mademoiselle Lowen-Soissanth est en possession illicite de documents. Ceci expliquerait pourquoi je suis censé garder le secret sur cette antécorrespondance !

En voyant que l’écran avait affiché ces dernières remarques, Obéron se sentit obligé de se servir du clavier pour l’effacer. Il s’apprêtait à gommer le paragraphe de l’écran quand il fut surpris par un élément qui lui avait échappé jusque-là. C’est en portant son regard sur les touches de son clavier qu’il remarqua la touche " CLEAR SCREEN " abrégée sous les trois lettres : CLS.

Frappé par la coïncidence des initiales de Crystaléa Lowen-Soissanth avec l’abrégé de Clear screen, Raphaël en vint à se demander si C. L-S. était ou n’était pas un pseudonyme. Malgré ce qu’en disait Léa, Raphaël Obéron admit selon sa logique qu’il s’agissait sûrement d’un pseudonyme. Il prit le micro de nouveau, relâcha le bouton bleu et dicta de nouveau, mentalement hilare à l’idée de ce qu’il allait dire.

- HYPOTHÈSE H1… L’Anté en 2074 est en cours de préparation, Crystaléa Lowen-Soissanth est chargée de la tester dans le plus grand secret.

- HYPOTHÈSE H1bis… Lowen-Soissanth a dérobé ou piraté le tout nouveau livret d’une maison d’édition pour son propre compte. Elle me contacte de façon discrète et me demande de garder le secret sur nos échanges afin de ne pas se faire arrêter. (Oui mais pourquoi prendre de tels risques ?)

- HYPOTHÈSE H1ter… C.L-S. a créée elle-même tout le livret et ne tient pas à ce que son invention lui soit volée par les grandes maisons d’éditions.

Un sourire commença à briser son visage sérieux.

- HYPOTHÈSE H2… Léa a en sa possession des documents qui viennent de 2074 sur lesquels elle a incrusté son image pour simuler sa présence en 2074 !

- HYPOTHÈSE H3… Crystal a vécu en 2074, a traversé le temps avec ses documents et s’en sert aujourd’hui pour combler son Antéchronostalgie ! !

- HYPOTHÈSE H4… C. L-S. vit en 2074 et m’écrit de là-bas !

Raphaël se mit à rire à gorge déployée dans le micro tandis que sur l’écran, un abruti de curseur affichait une série de Ha ! Ha ! et Ho ! Ho ! Ho !

Comme s’il avait été soudainement inspiré par les étoiles qui brillaient à travers la fenêtre virtuelle de son salon, Raphaël songea soudain qu’il n’avait pas demandé à Gar s’il avait reçu une lettre de C.L-S. depuis son départ.

La B.A.L.T n’était effectivement pas vide : un nouveau mél. signé C. L-S s’y trouvait bien !

Obéron plissa les yeux. Les coïncidences le rendaient toujours mal à l’aise.

Pendant l’impression de cette nouvelle lettre, Raphaël plongea son appartement dans la pénombre et s’amusa à afficher le maximum d’images du livret DREAMWAR dans son salon.

Peut-être était-ce pour mieux se plonger dans ce futur qui n’existerait jamais, ou bien peut-être pour oublier son époque qui l’ennuyait ; certains voudront sans doute voir là aussi le signe du destin.

*