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Premiers Doutes - Chapitre 14

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Chapitre 14 - Ascenceur pour la réalité

Dans l’obscurité existe la lumière, ne regardez pas avec une vision lumineuse.

Dans la lumière existe l’obscur, ne regardez pas avec une vision lumineuse.

Lumière et obscurité créent une opposition, mais dépendent l’une de l’autre comme le pas de la jambe droite dépend du pas de la jambe gauche.

San Do Kaï - " L’essence et les phénomènes s’interpénètrent " Maître Sekito

Comme en vous contemplant dans le miroir :

La forme et le reflet se regardent. Vous n’êtes pas le reflet mais le reflet est vous.

"Hokyo Zan Mai, Le Samadhi du miroir du trésor " de Maître Tozan Ryôkai,

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Ascenseur pour la réalité

L’ascenseur aux parois transparentes montait lentement dans un silence lugubre. Crystaléa, adossée à la seule paroi opaque, se surprit à regarder avec compassion cet homme perdu dans un monde qu’il avait oublié. Elle s’obligea aussitôt à regarder Raphaël Obéron avec sang-froid parce que la pitié lui était interdite.

" Il souffrira s’il vous voit apitoyée sur son sort. Soyez forte ! " Lui avait-on répété avec insistance. " Ne compliquez pas votre mission inutilement ! Allez le réveiller et ramenez-le-nous sain et sauf à Athala. Nous avons besoin de ce qu’il a appris là-bas, vous savez très bien pourquoi ! "

Lui tournant le dos, Obéron jetait un dernier regard à travers les parois de quartz brun de l’ascenseur. Sans doute gêné par les reflets (pourtant faibles) de l’applique intérieure de l’ascenseur, il avait collé ses mains de chaque côté de son visage et contre les parois de quartz.

Il n’arrivait pas à imaginer qu’il avait pu rester aussi longtemps dans ce caisson pour Rêve Assisté par Ordinateur.

Sous ses yeux tristes s’étendaient des allées de blocs constellés d’écran de contrôle, contenant sans doute des milliers de corps en état de Sommeil Paradoxal Artificiellement Prolongé. Rien que des rangées de cadavres en puissance, enfermés dans des illusions électroniques. Une vision qu’il avait du mal à accepter. Trop incroyable. Gérald, Franck n’étaient-il donc que des chimères ?

Et dire que Gérald, son vieil ami, il n’y avait pas si longtemps, le mettait en garde à propos des expériences du professeur Edmond sur la programmation des rêves et la mauvaise utilisation des simuréals. Comment ses propos visionnaires ne pouvaient-ils pas être fortuits ?

Raphaël ne savait plus que penser. Combien s’était-il passé de temps depuis qu’il avait été réveillé ? Et quand bien même il l’aurait su, ce temps aurait-il eu une signification pour lui ? À quoi bon chercher des repères insignifiants quand une vie entière se brise en millions de pixels ?

La pénombre s’était lentement infiltrée, comme un brouillard. À présent qu’ils étaient suffisamment élevés par rapport au sol de la prison, Raphaël avait une vision globale du palais des songes.

L’intérieur de l’immense prison-morgue avait la forme d’un diamant taillé aux dimensions pharaoniques. Au centre, l’ascenseur grimpait le long de l’énorme colonne de soutien en direction d’une ouverture percée dans le plafond.

La moitié inférieure du palais était constellée de carrés lumineux aux couleurs changeantes. Cela ressemblait à une fontaine romaine, tapissée par une mosaïque d’écrans de contrôle. À chaque écran de contrôle correspondait un lit-tiroir pour R.A.O. où " reposait " encore un prisonnier jaazlénien en léthargie.

Crystaléa était amère, elle avait déjà vu ce sinistre spectacle à l’aller ! Elle se demanda combien de ces petits écrans serviraient jusqu’à l’usure de professeurs matriciels ou de chercheurs pour ces vampires, ces guendjaaliens en manque de matière grise ! Elle détourna son regard du spectacle qui déroutait encore " Paul ".

Elle porta son regard sur les parois de la prison, faites de cercles concentriques de plus en plus étroits, un peu comme des gradins de géants. La prison-diamant avait des allures de théâtre grec. Rapidement cette vision disparut pour laisser sa place à la vision de cauchemar d’une arène où les esclaves léthargiques étaient donnés en pâture à des chimères électroniques. Sur les gradins virtuels, des milliers de guendjaaliens se nourrissaient de la matière grise de leurs prisonniers.

Grand Univers ! combien de compatriotes gisaient là ?

Les délivrer tous était impossible, mais comment se résoudre à n’en réveiller qu’un.

Le conseil avait envoyé " Paul " derrière les lignes ennemies pour une mission très importante, ce qu’il savait pourrait peut-être leur permettre d’en sauver plus la prochaine fois.

Et quand bien même elle délivrait le seul jaazlénien auquel elle tenait vraiment, elle ne pouvait se résoudre à laisser tant de compatriotes aux mains des vampires guendjaaliens.

L’ascenseur était arrivé au niveau des puits de lumière pratiqués dans la partie supérieure de la coupole.

À travers ces ouvertures apparut une ville, éclairée faiblement et recouverte de neige.

Obéron se demanda si c’était l’aube ou le coucher d’Éluar.

- Ogammu ! fit Crystaléa en rompant finalement le silence. Et elle répéta pour être sûre d’être bien comprise :

- Cette ex-ville jaazlénienne s’appelle Ogammu. Nous sommes en plein territoire occupé par les guendjaaliens !

Crystaléa pointa le doigt en direction des petites lumières brillant dans la pénombre.

- C’est là que vous avez été fait prisonnier ! ajouta-t-elle avec un quelque chose dans la voix. Lowen tourna la tête contre la paroi opaque. Elle se retenait pour ne pas pleurer.

Obéron l’entendit déglutir et comprit qu’elle souffrait de voir cette ville. Il aurait bien voulu aimer ce spectacle fantastique s’il s’était trouvé au cinéma mais il était en train de le vivre !

Ogammu et ses lumières disparurent tandis que l’ascenseur entrait par l’ouverture de la voûte du palais. Une bande noire passa devant leurs yeux puis ce fut la pénombre pendant quelques minutes. Quand une pâle lumière rosée revint, Crystaléa était en train de poser ses lentilles de vision nocturne. Instinctivement, Obéron l’imita.

Une autre bande noire passa devant eux et Crystaléa brisa l’applique murale de l’ascenseur et les plongea dans le noir total avant que l’ascenseur ne s’arrête complètement.

- Nous sommes arrivés, fit-elle tandis que les portes s’ouvraient sur le toit et la brume.

Le vent s’engouffra dans l’ascenseur et dans la veste ouverte de Raphaël.

- Couvrez-vous, il fait très froid cette période ! C’est fréquent à cette altitude… et nous ne sommes pas encore entrés dans l’hiver II ! Cette rotation, il sera sûrement très rigoureux ! Heureusement si tout va bien, nous dégagerons rapidement cette géozone pour de bien meilleure conditions climatiques.

Obéron reconnut là le langage qu’il fallait utiliser dans son jeu d’antécorrespondance pour désigner le jour, la saison, l’année et la région " dans le monde de Thagama ".

Tout ce qu’il venait de vivre ces derniers instants était trop incroyable pour qu’il ne songe un instant au fait qu’il ne s’agissait peut-être pas d’un rêve. Il s’était fait à l’idée qu’il rêvait tout cela parce qu’il s’était trop investi dans ce jeu d’antécorrespondance. Rêver de Thagama, de C. L-S. parlant en jaazlénien lui sembla logique sur l’instant. Ce rêve avait commencé alors qu’il s’était sûrement assoupi devant son ergobureau, fatigué par des heures passées à se plonger dans cet univers imaginé. Au fil des pages du livret d’antécorrespondance avait germé cette vision distincte de Léa Lowen-Soissanth, celle-là même qui semblait s’acharner à le tirer de ses rêveries dans le rêve !

- Eh ! Vous m’entendez ? Refermez votre veste !

Mais Raphaël était perdu et il agrippa la veste de Lowen.

- Je veux tout savoir, parlez ! cria-t-il.

- Ce n’est vraiment pas le moment ! Enfin si cela peut me permettre de retrouver votre confiance, O.K. ! lui répondit-elle sèchement.

- Mon nom est bien Crystaléa Lowen-Soissanth, Unité d’intervention G.F.A., se mit-elle à chuchoter. Nous sommes bientôt en l’an 2075 sur Thagama, nous sommes en route pour Athala, notre base secrète, poursuivit-elle en escamotant une partie de la vérité. Je suis venue pour vous sortir d’ici. Vous êtes Raphaël Obéron chef de section de l’unité d’intervention CD4, plus connu sous le nom de Résistance de PAUL. Vous étiez également Grand Commandeur d’Escot, la plus vieille barrière Est de Jaazlénia, qui a été attaquée et détruite voilà plus de 7 décades. Le conseil vous a ensuite envoyé en mission secrète et c’est pendant celle-ci que vous avez été capturé et enfermé ici dans le palais des songes, la meilleure prison par R.A.O. des monstres de Guendjaal !

Toutes ces explications tournèrent la tête à Raphaël. Il voulait se raccrocher à quelque chose de tangible mais ce qu’il voyait autour de lui ne figurait pas dans le livret d’antécorrespondance. Rien ne lui permettait à présent de penser qu’il puisse toujours s’agir d’un rêve. Il fallait bien le reconnaître : le R.A.O. était bien réel et sa " vie antérieure " en tant que professeur de neurologie à Orléans II était bien un simulacre !

- Vos souvenirs de votre vie d’ici ont été progressivement effacés par médication et à force de vous implanter ces faux souvenirs de Terre 1997. Vous croyez être Raphaël Obéron né en 1961 à Berlin, né de père américain et de mère française, étudiant de médecine spécialisé en neuropharmacologie de 83 à 93 et professeur au mégacampus d’Orange II, californie, de 96 à 97. Mais vous êtes en réalité Paul-Raphaël Obéron, un de nos meilleurs éléments, dans notre Mouvement de Résistance pour la Libération de Jaazlénia. Vous êtes atteint par le Dreamlag pour être resté trop longtemps sous R.A.O. et parce qu’ILS ont fini par annihiler tous vos souvenirs de ce que vous étiez.

- Dreamlag ?

- Le dreamlag est au R.A.O. ce qu’est le jetlag pour les voyages en avions stratosphériques.

- Jetlag - décalage horaire ; dreamlag - décalage de la perception de la réalité subjective par rapport à la réalité objective !

- Ça alors ! C’est en ces termes que le Professeur Jahler me l’avait expliqué ! Ainsi il vous reste donc quelques bribes de votre mémoire n’est-ce pas ? fit Lowen en souriant pour la première fois.

- Qui est ce Jahler ?

- Désolée, murmura-t-elle, comprenant qu’il s’agissait d’une farce du destin. Elle avait perdu son beau sourire et reprit sans enthousiasme :

- C’est avec cet homme que vous avez mis sur pied la méthode antécorrespondance. C’est grâce à cela maintenant, que les prisonniers que l’on réussit à libérer ne deviennent pas fous. Et j’espère que ça a bien marché pour vous !

- Je voudrai en être sûr, fit Raphaël Obéron qui commençait à accepter tout cela.

- Je vous donnerai d’amples détails dès que j’aurai réglé notre départ. Tout d’abord il faut renvoyer l’ascenseur là où il était avant que je ne l’appelle d’ici, lorsque je suis arrivée ici en parachute. Ensuite il faut faire disparaître toute trace de notre passage, hélas le givre ne facilitera pas notre tâche ! Enfin, il faut que je récupère le reste de mon matériel. Je l’ai caché par ici. Pendant ce temps, allez vous poster derrière le pied de la grande antenne parabolique que vous apercevez là-bas et attendez-moi !

Raph releva la tête et fixa la jeune femme avec étonnement.

Elle le regarda un instant croyant qu’il allait dire quelque chose puis comprit la raison de son étonnement et tourna ses yeux vers les portes de l’ascenseur qui s’en allait. Quand elle le regarda à nouveau, elle cachait un sourire avec difficulté.

- Ne vous inquiétez pas, nous n’aurons pas à utiliser de nouveau l’ascenseur ! Nous quitterons cette ville par la voie des airs… Faites-moi confiance et allez vous camoufler là-bas jusqu’à mon retour !

Crystal se déplaçait dans la pénombre comme un prédateur nocturne. Raphaël de son côté passait plutôt pour une proie facile. En fait, il n’avait pas réussi à lui dire mais il n’y voyait goutte ! Ses lentilles de vision noctune le perturbaient complètement. Heureusement, l’antenne parabolique en question était si imposante qu’il n’eut aucun mal à la rejoindre.

*