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Premiers Doutes - Chapitre 15

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Chapitre 15 - Cerveau givré

15

Cerveau givré

Les yeux d’Obéron enfin habitués à la vision infrarouge discernaient maintenant que les soleils étaient complètement couchés, les contours de la terrasse sur laquelle s’était ouvert l’ascenseur. Les seules lumières qui leur parvenaient étaient celles de la ville.

La terrasse avait la forme d’un polygone régulier à plus de cinquante côtés. Des antennes métalliques tendues par des cables d’acier énormes étaient dressées en son centre sur une petite plate-forme.

Au pied des quelques marches qui menaient à elle, gisaient éparses trois carcasses de robots de combat. Probablement des patrouilles médicales outlaw ou leurs cousins. Des traces noires-carbone témoignaient de la lutte sans merci qu’ils avaient dû engager contre Crystaléa. La manière dont l’énergie les avait quittés était impressionnante. Lowen devait être une guerrière hors-pair !

Blotti au pied de la grande antenne noire, Raphaël ne la quittait pas de son regard inquiet. À l’autre bout de la plate-forme, elle était occupée jusque-là à démonter une grille métallique qu’elle posait maintenant sans bruit sur le sol, dégageant l’ouverture de ce qui paraissait être un conduit d’aération. Elle s’y engouffra avec une aisance surprenante et disparut pendant plusieurs minutes, (une éternité pour Raphaël).

Raphaël, obéissant, faisait maintenant corps avec la plate-forme. Le halo de lumière d’Ogammu dans la nuit naissante faisait ressortir tous les reliefs curieux des objets de la terrasse et du parapet qui en faisait le tour.

Le halo vacilla quelques instants, reflet d’une activité au pied du palais des songes. Obéron n’eut pas le courage de braver l’ordre de Lowen et de se relever pour aller regarder par-dessus ce parapet.

En fait il savait ce qu’il verrait s’il jetait un coup d’oeil en bas : non pas la ville d’Ogammu mais simplement " le futur " ! Celui qu’avait si bien décrit le livret d’antécorrespondance.

Le simple fait de savoir ce " futur " si proche de lui le cloua sur place. La tentation d’aller se pencher par-dessus le parapet fut d’autant plus facile à vaincre que les deux petites lunes qui s’élevaient au-dessus de l’horizon, étaient un spectacle suffisamment fascinant à ses yeux.

Obéron jeta un coup d’œil circulaire autour de lui. Le toit lui rappelait vaguement le dernier étage de la tour Eiffel. Ce souvenir profondément ancré dans sa mémoire le plongea dans un nouveau tourbillon de cristal : la conscience de Raphaël Obéron était victime de la glace (Générateur de Logiciel Anti-intrusions par Contremesure Électroniques), et à la fois dans l’œil du cyclone. Il se voyait au milieu d’un palais des glaces, immense labyrinthe de miroirs et de vitres de cristal. Ne sachant jamais si le monde qu’il contemplait en face de lui appartenait au rêve ou à la réalité.

Cette parabole du labyrinthe de cristal lui parut justement idéale pour décrire ce qu’il venait de vivre :

Lorsqu’il avait commencé cette antécorrespondance sur Terre mère 1997, c’était comme si Léa et lui avaient été confrontés à un miroir magique. Dans cette parabole, celui-ci renvoyait une image virtuelle légèrement différente d’eux, celle de leur personnage : des reflets vêtus à la mode 2074 !

Il s’imagina un moment en train de contempler l’image virtuelle de Léa et soudain se heurter contre une plaque de verre placée entre elle et lui. La vitre perpendiculaire au miroir symbolisait l’impossibilité de rencontrer Crystaléa, l’originale dans le présent.

Cet échec frustrant l’avait même amené à douter que Léa vivait bien " du même côté du miroir " et à penser qu’il communiquait à travers le temps. Il imagina donc une complexification de sa parabole :

En fait, le miroir n’était magique que face à lui. Cette fois, Crystaléa se trouvait bel et bien de l’autre côté ! Son image dans le " réel " provenait quant à elle d’un second miroir, placé à quarante-cinq degrés par rapport à la vitre le séparant de l’image " virtuelle " de son antécorrespondante. Le second miroir symbolisait la duperie.

À présent il semblait évident que le vrai Obéron était du même côté qu’elle, du côté qu’il croyait virtuel ! La virtualié et le réel avait été permutés ! Son reflet avait pris sa vie pendant si longtemps que Raphaël avait oublié qu’il n’était pas ce reflet.

Une rafale de vent glacé le ramena dans la réalité de Thagama et pour oublier ses angoisses, il essaya d’analyser avec sang-froid sa nouvelle situation. Son regard parcourut à nouveau les alentours.

La plate-forme placée au sommet de la tour semblait construite entièrement en métal noir et sa structure ressemblait à celle des avions furtifs de l’Air Force. La géométrie de la plate-forme semblait avoir été étudiée pour être à la fois aérodynamique et non détectable par les radars. Un choc métallique l’avertit du retour de son ex-antécorrespondante. Elle traînait derrière elle quatre gros sacs à dos noirs. Jamais il ne sut comment ils étaient arrivés là. Léa se pencha sur lui et lui tendit un bloc de plastique.

- Tenez-moi ça ! lui dit-elle rapidement.

Cela ressemblait à un ordinateur portable et Raphaël chercha à l’ouvrir.

- C’est avec ça que nous allons retrouver le chemin de la liberté alors ménagez-le ! fit-elle en souriant. C’est une console portable, je vais la brancher sur cette antenne via l’ordinateur de la plate-forme. Nous allons attendre que le palais des songes décolle vers Tendrix, c’est là que les guendjaaliens " stockent " leurs prisonniers et les branchent sur leurs systèmes terrestres. Nous sauterons en parachute lorsque ce palais des songes flottant survolera la géozone de rendez-vous. Cette console radar-radio nous avertira lorsque ce moment sera venu ; elle captera le signal codé qu’émet sa jumelle de l’unité d’intervention BZD et nous permettra de les localiser dans le maquis. Les hommes de l’unité d’intervention BZD nous aideront alors à rallier la base sous-marine d’Athala, de là nous rejoindrons plus tard la capitale.

Lowen avait débité cela sur un ton dur et froid mais cela ne perturba pas Raphaël. Il la regarda en pensant à ce qu’aurait dit son ami Franck York devant un tel débit.

Elle a préparé ce speech ma parole ! Sans doute pour répondre d’avance à mes questions mais qu’a-t-elle dit ? Ce bâtiment va s’envoler ?

- Le palais des songes va décoller ? Mais il est énorme, comment est-ce possible ? lâcha enfin Obéron dans un jet de buée.

- En quoi sa taille l’empêcherait-il de voler ? Vous semblez encore raisonner comme un homme du vingtième siècle de l’ère ancienne, c’est oublier que nous sommes bien loin dans le futur de votre " Terre-mère 1997 ".

À ces mots, Obéron comprit que l’apparente similitude entre l’architecture du palais et un gigantesque avion furtif n’avait plus rien d’étrange. Ce Palais avait en effet plus de ressemblance avec les navires de guerre qu’avec une prison, même une prison du futur-présent.

Lowen s’assit tout contre lui, tira les parachutes vers elle, formant une sorte de paravent autour d’eux et se colla contre lui.

- Je ne sais pas combien de temps nous allons devoir attendre. Il fait très froid alors essayez de ne pas vous endormir ! De toute façon, je crois qu’il serait préférable de te’… vous réadministrer un bon coup de stimulant, rajouta-t-elle après un temps de silence. Cette fois, vous êtes prévenu alors prenez-le vous-même… C’est très facile, allez !

À ces paroles, un souvenir d’enfance remonta à la surface du lac gelé qu’était la conscience d’Obéron. Comme un morceau de cyber-GLACE qui se détache de la banquise.

Obéron avait sept ans, sa maman était assise sur son lit, il était plongé sous sa couette jusqu’au menton et refusait d’avaler la cuillère de sirop que sa mère lui tendait. Ce souvenir implanté l’effraya par son hyperréalisme.

- Dis-moi Crystaléa, ce DREAMLAG est-ce une amnésie temporaire ?

- Non, malheureusement, cela n’a rien de temporaire. Vous allez continuer à vivre ici en ayant toujours cette arrière-impression d’avoir réellement vécu votre vie en 1997 après J.C..

- C’est horrible ! fit-il la voix déchirée.

- Rassurez-vous, votre amnésie peut être guérie mais vous aurez une superposition de deux vies. La fausse, celle de 1997, et la vraie, celle que nous av’… que vous avez vécue avant d’être " projeté " en 1997 avant J.C..

Sans l’antécorrespondance vous n’auriez pas pu supporter le voyage vers Jaazlée, elle vous permet de comprendre un minimum de choses à ce monde pour ne pas être totalement décalé à la fin du Rêve Assisté par Ordinateur. Sans cette méthode, vous passeriez de la camisole électronique à la camisole chimique, c’est un sort que je ne vous recommande pas !

- Parlez-moi s’il vous plaît de cette méthode de réveil par antécorrespondance demanda-t-il, visiblement soucieux.

- Le projet d’antécorrespondance date d’un an environ, annonça Crys. Lorsque le professeur Jahler et vous avez mis au point une technique de réveil sans traumatisme, l’antécorrespondance, nous avons espéré pouvoir enfin faire de plus grandes opérations de libération de prisonniers Jaazléniens car elle s’est avérée efficace pour empêcher le dreamlag mais elle est incapable de restaurer la mémoire des prisonniers.

- Le professeur Jahler, est-il toujours parmi vous ? l’interrompit-il aussitôt.

- Non hélas. Il est mort pendant l’assaut de la Base Principale du Sud. Il semblait avoir presque touché au but lorsque nous étions allés le voir dans son laboratoire au plus profond des grottes de la Base Troglodite du Nord. Il était persuadé qu’avec cette simple méthode psychologique, nous pourrions ramener des prisonniers plus nombreux sans avoir à utiliser d’autres méthodes plus dangeureuses pour réveiller la mémoire des prisonniers libérés de l’emprise du R.A.O. Peu de temps après, il vint se réfugier dans la base principale du sud lorsque la menace d’une attaque sur la B.T.N. se fit plus imminente.

- Que s’est-il passé ensuite ? demanda Obéron doucement.

- Les troupes de Guendjaal ont attaqué la B.T.N. et celles de Hypsopus ont attaqué peu de temps après la B.P.S.. Le sort semblait contre lui.

- Il n’y a pas eu de survivants, c’est cela ?

- Bien sûr que si ! Les gens de Guendjaal et d’Hypsopus ne veulent que des vivants, à quoi leur serviraient donc des cadavres ? As-tu déjà pu mettre des morts en esclavage ?

Lowen se releva, amère. Pendant quelques instants Obéron fut replongé dans l’horreur.

- Quoi ? Les prisonniers sont mis en esclavage ! bredouilla-t-il.

- Évidemment, les deux grands ont richesse et pouvoir mais de savants et d’hommes de raison, ils n’ont qu’un dixième de ce que nous autres avons, nous les jaazléniens. Cela je vous l’ai raconté dans le dossier d’antécorrespondance, est-ce que vous vous en souvenez ?

- Mais pourquoi ? Pourquoi ne m’avoir rien dit à propos de l’esclavage lorsque j’étais en 1997 ?

- J’avais déjà pas mal de travail à faire pour vous ramener à nous, d’autant plus que ma mission a été sérieusement retardée lors de mon voyage jusqu’à vous. J’ai d’abord essuyé une bonne tempête de protection avant de pouvoir entrer dans Ogammu, j’ai dû ensuite éliminer la ligne de défense de cette plate-forme sans déclencher l’alarme dans tout le palais, ce qui s’est soldé par la perte malheureuse d’une partie des digitubes de " rappel ".

- Tempête de protection ?

- Les gens de Guendjaal utilisent des défenses passives climatiques. Toutes leurs villes, donc Ogammu également, sont entourées d’une barrière magnétique circulaire qui maintiennent des conditions climatiques favorables en leur centre. Les traverser en planeur furtif, c’est se prendre une bonne tempête en pleine figure !

- Et ces digitubes, c’est quoi ?

- C’est ce qui m’aurait évité de recréer sur place une grande partie du dossier d’antécorrespondance. Ces enregistrements contenaient le dossier de rappel par antécorrespondance que chacun de nous prépare avant de partir en mission.

S’il est possible de nous délivrer, on les utilise pour nous guérir du dreamlag. Ce qui est absolument nécessaire pour nous redonner notre mémoire originelle (grâce à des copies de mémoires également sur digitubes). Les souvenirs comme les vôtres sont en lieu-sûr, pour qu’ils ne tombent aux mains ennemies.

- C’était mon assurance-survie mentale en quelque sorte !

- Tout à fait ! Et par la faute de ces robots de défenses, j’ai perdu le moyen le plus sûr de vous ramener parmi nous sans dreamlag. J’ai dû prendre le risque d’improviser la partie de mon alibi virtuel détruite dans le combat et prendre des photoroïdes d’Ogammu et de moi dans le couloir.

Heureusement, cela ne semble pas avoir déclenché d’alerte.

- Et ma mémoire originelle ?

- Vos digitubes-mémoires se trouvent dans la pyramide de Jaazlée avec les autres mémoires de Jaazlée et nous ne serons là-bas qu’après un long voyage. Vous ne serez " entier " que d’ici deux décades environ, désolée.

- Mais je suis entier ! Et je me plais tel que je suis !

- Heureuse de vous l’entendre dire. J’ai pris beaucoup de risques pour vous et ce n’est pas terminé !

Soudain un grondement abrutissant surgit de nulle-part. La tour se mit à trembler violemment.

- La capitaine de bord est ravie de vous avoir à bord de THAGAMA AIR LINE, fit Lowen-Soissanth en souriant. La température extérieure est de 258 kelvin et le ciel est dégagé. J’espère que vous ferez un bon voyage jusqu’à Athala, merci !

Obéron aurait bien voulu rire de cette blague mais il était écrasé à terre par la formidable force qui arrachait le palais du sol.

- Attachez-vous à cette barrière métallique, lui ordonna Léa tout en indiquant de l’index les pieds de l’antenne noire.

*

Une heure était passée depuis que le vaisseau-palais avait décollé d’Ogammu en direction de Tendrix. Obéron était moins nerveux depuis qu’il pouvait de nouveau circuler librement sur le toit. En une heure de voyage ils avaient survolé des régions bien différentes et avaient finalement quitté les zones enneigées de la vallée glacée d’Ogammu. La météo de cette planète était étrange mais Raphaël la connaissait bien pour l’avoir étudié sur son lit comme toutes les autres parties que contenait le livret d’antécorrespondance. En songeant à cela, il essaya de se rappeller tout ce qu’il avait appris sur Thagama et sur sa vie. Force était de constater qu’il manquait un passage important dans sa vie. Du poste de commandant posté à la frontière Est de Jaazlénia à sa libération, il ne savait rien de ce qu’il s’était passé.

Lowen-Soissanth était installée sous l’antenne et guettait le signal sur l’écran de sa console. Quand elle releva quelques instants la tête, elle vit que Raphaël la regardait et prit l’expression de son visage pour de l’inquiétude.

- Rassurez-vous, c’est normal que nous n’ayons pas encore eu de signal, je vous l’ai dit, il va falloir attendre encore une heure environ. Tenez-vous prêt tout de même, au cas où. On ne sait jamais…

- Je ne suis pas inquiet, seulement curieux de savoir ce qu’il m’est arrivé depuis le poste de commandant à la frontière Est de Jaazlénia ; si bien sûr tout ce que vous m’avez dit sur moi dans le dossier d’Anté’ était vrai !

- Tout le dossier était exact en dehors de quelques détails sans importance que j’ai dû modifier pour pouvoir rendre plausible le soi-disant jeu de rôle. Ce n’était pas la synopsis d’un personnage de jeu de rôle pour antécorrespondance mais bien votre propre biographie ! Je ne pouvais vous en dire plus car il fallait justifier une correspondance bien sûr impossible après les événements qui se sont déroulés à la frontière Est. J’ai donc placé le début de notre correspondance quelques jours avant l’attaque guendjaalienne de notre frontière.

- Qu’est-il arrivé ensuite ? demanda Obéron qui s’était assis à côté d’elle.

- Il y a eu pas mal de morts de notre côté car nos soldats savaient ce qui les attendrait s’ils étaient faits prisonniers. Les guendjaaliens ont fait une petite percée mais n’ont pas pu aller très loin car les hypsopusiens ont envoyé des bombes sur les troupes de Guendjaal, ce qui nous a permis de redresser un nouveau front en retrait. Néanmoins vous avez été fait prisonnier et condammné à servir de banque de mémoire bioélectronique à usage éducatif, compte tenu de vos nombreuses connaissances.

- Comment savez-vous cela ?

- Parce que nous avons quelques espions mais surtout parce qu’un de vos hommes à réussi à s’échapper par miracle.

- Mais pourquoi me suis-je retrouvé dans le palais des songes à Ogammu ?

- La citadelle, c’est son autre nom, se déplace de champ de bataille en champ de bataille et collecte les prisonniers. Quand elle est pleine elle revient à Guendjaal déposer son stock de rêveurs et repart au front.

- Comment savez-vous alors le trajet qu’elle va faire ?

- Je savais qu’une bataille aurait lieu à Tendrix. Les rapports de nos espions nous ont permis de dresser un plan pour que je vienne vous récupérer.

- Mais pourquoi seulement moi ?

- Nous ne pouvons libérer plus de deux personnes ainsi. J’avais un compatriote en venant ici mais il a dû rebrousser chemin. Son " porteur " a été touché quand nous avons traversé les lignes ennemies.

Étant le seul expert en R.A.O. et antécorrespondance désormais vivant et comme vous avez les qualités d’un chef, nous avions grand besoin de vous Paul-Raphaël !

Le sourire de Lowen-Soissanth était réconfortant.

Mais le facteur décisif, en ce qui vous concerne, est sans doute le fait qu’ils vous aient projeté dans la vie d’un professeur-chercheur en neurologie.

L’inconvénient de l’anté’ du professeur Jahler (Thagaï ait son âme) est que nous ne pouvions espérer libérer plus de deux personnes par expédition. Libérer quelqu’un qui aurait eu accès aux connaissances des guendjaaliens en matière de neurologie nous faisait espérer qu’en vous ramenant parmi nous, vous reviendriez avec la clé du R.A.O.. J’ai malheureusement échoué dans ma mission à cause de ces maudites patrouilles médicales Outlaw. Crystaléa marqua une pause pour contenir sa rancoeur puis reprit :

- Il est heureux que mon antécorrespondance improvisée vous ait doucement préparé à accepter cet univers comme le vôtre car maintenant il vous faut vivre en 2074 Apomyr et accepter que votre vie sur Terre-mère ne soit qu’un rêve assisté par ordinateur.

Tant que votre mémoire sera incomplète nous n’aurons qu’une moitié de la clé. Les deux morceaux réunis nous pourrons lancer notre attaque, mais cet endroit n’est pas le lieu idéal pour parler de tout cela, je crois que vous comprenez pourquoi…

- Que va-t-il arriver aux autres ?

- Ils finiront intégrés au Macrordinateur des guendjaaliens ! dit Lowen-Soissanth en se raclant la gorge.

- Des cerveaux sans corps reliés par milliers à un ordinateur ?

- Non, leurs corps seront conservés. Séparer les cerveaux des corps compliquerait inutilement leur Biordinateur. Les fonctions vitales sont maintenues pour assurer la meilleure activité cérébrale possible.

Bien sûr leurs corps se flétrissent et ne seraient plus à même de les soutenir s’ils étaient extraits du Macrobiordinateur au bout de quelque temps. Mais c’est le dernier des soucis des Biotechnos guendjaaliens.

Tout ce que font ces monstres, c’est remplir les alvéoles de gel amniotique et poser une sonde biocompatible de nutrition entérale continue, leur cordon ombilical au fond.

Nos compatriotes finissent comme des larves d’abeilles dans les alvéoles d’une ruche. C’est d’ailleurs sous le nom de code de " LA RUCHE " qu’est désigné leur macrobiordinateur.

- Alors pour eux, plus d’espoir ?

- Ils ont une chance sur cent millions de s’en sortir. Leur chance, c’est la mort.

- Maudits soient ces guendjaaliens !

*

L’attente rendait Raphaël nerveux.

- Toujours rien ?

- Non, rien que de petits échos parasites. Cette tour est construite pour être furtive aux radars alors il est à craindre que le signal soit très faible, c’est pourquoi je dois surveiller cette console chaque instant.

- L’heure est largement passée, et si je vous l’avais fait rater en discutant tout à l’heure avec vous ?

- Non, je ne pense pas !

- Dites, l’unité BZD est-elle visible depuis les airs ?

- Normalement non bien sûr, pourquoi ?

- À cause de cela ! Raphaël tendit le doigt en direction du sol.

Le palais survolait une forêt immense et dans la lumière du petit matin, on distinguait parfaitement une tache d’un vert moins soutenu sur la trajectoire du vaisseau géant.

- Cette tache dans la forêt ? Certainement un marais ou une trouée recouverte de lianes, Paul.

- Pourtant, ça n’a pas l’air naturel. Et ce bouclier dont vous m’avez parlé tout à l’heure ?

- Je ne sais pas, je me demande…

- À présent, je suis sûr que c’est eux, ils ont dû utiliser ce bouclier pour une raison inconnue et c’est pour cela qu’on ne reçoit pas ce fameux signal.

- Ils n’étaient pas censés ut’…

- Eh ! regardez ce truc sur votre écran, c’est le signal, j’en suis sûr, allez vite, venez, il faut sauter !

- Non attendez ! Ce n’est sûrement qu’un écho parasite !

Obéron s’agitait en tout sens. De nouveau il scruta l’horizon en direction de la tache trouble au mileu de l’immense forêt. Celle-ci ne se situait pas exactement sur la trajectoire et elle allait commencer à s’éloigner d’eux. Les mains de Raphaël Obéron se crispèrent sur les sangles de son parachute.

- Quelle est cette forêt que nous survolons ?

- Je crois que c’est la forêt de Xourou mais à vrai dire je n’en suis pas sûre. Normalement nous ne devrions pas survoler cette forêt ! Nous avons dû faire un détour sans que je m’en aperçoive. En tout cas mon radar est toujours négatif.

- Et s’il était en panne ?

- Non, non, fit-elle comme pour se rassurer elle-aussi.

- Je n’aime pas ça, ça fait trop longtemps qu’il aurait dû nous signaler le point de chute. Ce n’est pas normal.

- Peut-être ont-ils changé les plans ? proposa Lowen qui sentait Raphaël de plus en plus tendu à mesure que la tache de végétation trouble se rapprochait d’eux.

- Non ! Quelque chose ne va pas ! Je suis sûr qu’on risque gros à rester plus longtemps ici. Cette tache, c’est leur bouclier, j’en suis sûr. Si nous attendons encore, nous allons la rater.

- Calmez-vous, mon radar fonctionne, c’est évident ! Le point de chute n’est certainement pas loin d’accord car cette forêt est idéale pour rejoindre une base sans être repéré mais il ne s’agit là que d’une simple différence de végétation.

- Plutôt insolite votre différence, mais regardez plutôt ! On dirait qu’elle vibre.

- C’est pourtant vrai. Étrange… mais voyez mon écran est vide, ce n’est donc pas ce que vous pensez.

- Votre radar ne réagit pas car nous volons peut-être trop haut, il faut sauter, croyez-moi !

- Non attendons encore un peu le signal, nous ne le verrons qu’au dernier moment mais il faut être sûr que c’est là.

- Et cette trace sur votre écran, êtes-vous certaine qu’il s’agisse bien d’un parasite. Ça fait une heure que nous le guettons et maintenant que nous avons quelque chose vous avez des doutes ? Il faut sauter, c’est là, je vous dis !

- Du calme !

- Non ! Faites moi confiance à votre tour. Mon instinct me le dit. Il faut sauter et vite. Allez ! Suivez-moi, on saute !

- Non ! Attendez…

… Crétin !

Obéron glissait déjà sur le flan de la citadelle et fut propulsé dans le vide en chute libre. Il n’entendit pas les derniers mots de Crystaléa.

Celle-ci, furieuse, prit appel sur la corniche et déclencha ses boosters quelques secondes, juste assez pour se retrouver à son tour dans le vide à la poursuite d’Obéron.

Par plongées successives, elle rattrapa Raph et l’empoigna violemment.

- On n’était pas censé sauter au-dessus d’une forêt ! T’es aussi buté qu’avant Raph ! vociféra-t-elle.

- Tu ? Avant ? Mais vous disiez ne pas me connaître ? Eh !?

Mais CLS avait tiré sur la cordelette et Obéron fut happé vers le ciel par son parachute.

L’instant d’après, ayant vu Obéron s’en tirer sans problème, CLS éjecta son parachute.

Raphaël pria tous les dieux de l’hyperespace que son intuition soit juste car il voyait bien la colère de Lowen malgré la grande distance qui les séparait.

Tout deux descendaient maintenant lentement au-dessus d’une forêt inconnue, à des milles peut-être du point de chute véritable.

*