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Premiers Doutes - Chapitre 16

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Chapitre 16 - Yoho

16

Yoho

D’abord de la lumière.

Une lumière verte et dorée.

Puis, peu à peu, une sensation de chaleur, celle du soleil ou bien celle d’une meurtrissure ?

Du soleil parmi les feuillages. Des paillettes dorées dansant au gré du vent sur taches vertes. Des dizaines de verts différents qui dansaient sous les yeux d’Obéron.

Situation étrange.

Le vide sous ses pieds !

Quelque chose semblait le retenir en l’air.

Temporairement !

Une douleur sourde au bas du crâne, l’épaule meurtrie, Raphaël Obéron revenait peu à peu à lui.

Obéron se passa la main sur son crâne douloureux et gémit :

- Oh-oh !, fit-il en se découvrant suspendu par son parachute aux très hautes branches d’un arbre.

Dans la chaleur lourde, Raphaël essayait de reprendre ses sens. Ses jambes se balancèrent un instant dans le vide avant de " prendre conscience " de leur situation précaire.

- Grand univers, que s’était-il donc passé ? Pourquoi se trouvait-il ainsi perché : il n’arrivait plus à recoller tous les morceaux dans sa douloureuse tête ?

Le souvenir des instants précédant son évanouissement lui revenait difficilement.

La seule chose qu’il réussissait à se rappeler était que Léa et lui descendaient lentement au-dessus de la forêt inconnue en visant quelque chose.

Ah ! oui, une zone de forêt trouble comme vue à travers un disque d’air chaud. La base peut-être.

Par des grands gestes, Léa lui avait fait comprendre qu’il fallait essayer de descendre au plus près de la tache.

Enfin avait-il essayé, son inexpérience au saut en parachute l’ayant en fait éloigné d’une assez bonne distance de la cible. Raphaël se souvint qu’il avait maudit le vent, le vent qui l’avait emporté malgré lui. Léa l’avait pourtant prévenu de ces courants d’air chauds au-dessus de ce type de forêt.

À présent, elle devait être quelque part au milieu de cette forêt, incapable de le retrouver. Il fallait qu’il descende de là seul.

Dans sa veste isotherme, au beau milieu d’une forêt subtropicale, Raphaël Obéron étouffait de chaleur.

Empêtré dans les cordes et les branchages dont il essayait de se dégager, Obéron constata que sa main était rouge sang.

Elle paraissait pourtant indemne. Ce sang ne pouvait donc provenir que du crâne qu’il s’était frotté à l’instant. Dans cette stupide chute, Obéron devait s’être ouvert le crâne !

De son autre main, il tâtonna sa tête à la recherche d’une blessure. Il n’y trouva que des grains pareils à ceux des figues dans une sorte de pulpe rouge sang.

Un fruit de l’arbre dans lequel il se balançait sans doute !

Sous les quelques rayons de soleil qui parvenaient à se frayer un chemin jusqu’à lui à travers l’épais feuillage et l’accablaient d’une chaleur supplémentaire, le jus de ce fruit avait étonnamment l’aspect du sang.

Ses souvenirs lui revinrent enfin. Il vit parfaitement l’image de l’étrange tache circulaire. Trop parfaite pour être naturelle, se persuadait-il à mesure qu’il s’en rapprochait. S’agissait-il là de leur fameuse base secrète ?

Pas très discrète la base, songea Obéron alors qu’il commençait à revoir sa chute dans la cime des arbres.

Juste avant de heurter les premières branches, il avait bien vu Crystal lui crier quelque chose mais en vain.

Elle semblait avoir atterri non loin de lui. Mais où ? Comment savoir ?

À vol d’oiseau, elle ne devait pas être très éloignée de lui. Mais il n’était pas un oiseau et de plus il ne saurait dans quelles directions la chercher aussi pensa-t-il avec raison que Crystal lui avait crié de rester là où il tomberait.

Quand deux personnes se cherchent dans une forêt géante, le hasard veut qu’ils n’aient quasiment aucune chance de se retrouver s’ils bougent constamment de place. Crystaléa aurait plus de chance s’il ne bougeait pas de là. Elle avait certainement fait un meilleur atterrissage que lui et avait probablement encore une idée de la direction à prendre pour retrouver l’hurluberlu.

Les arbres de cette forêt étaient géants à en juger par la distance qu’il avait traversée dans sa douloureuse chute et par celle qu’il restait encore sous ses pieds.

Que pouvait-il bien faire pour descendre de ce perchoir ? se demanda Raphaël en estimant la distance qui le séparait du sol indistinct à une vingtaine de mètres.

Raphaël redressa la tête et regarda vers son parachute coincé parmi les plus hautes branches. Leurs grincements ne le rassuraient vraiment pas.

Ses cordes se relâchèrent soudain dans un énorme craquement suivi d’un long déchirement menaçant.

Une des grosses branches venait de rompre et passa devant lui tandis qu’il restait momentanément sur place. Obéron eut à peine le temps de se rendre compte que cette branche de bonne taille emportait avec elle une partie des cordes. Celles-ci se retendirent avec violence et arrachèrent un cri à Paul-Raphaël et Paul-Raphaël à l’arbre.

Sa chute ne dura pas car la grosse branche qui en était la cause se coinça dans la fourche principale de l’arbre.

Obéron repassa devant " sa " branche et comme un Yo-Yo en fin de course vint s’arrêter brutalement une dizaine de mètres plus bas. Le choc contre le tronc lui arracha un nouveau cri de douleur.

De nouveaux petits craquements se firent entendre. Cette fois, ils venaient du sol. Dans la pénombre, il distingua une silhouette qui s’avançait vers lui au milieu de hautes fougères.

De longues jambes féminines en short gris, firent leur apparition au bord d’un rayon de soleil, éclatantes au milieu de tout ce vert comme des jambes de star sous un spot-light.

Léa était en pantalon. À qui étaient donc ces superbes jambes ? se demanda Raph du haut de son perchoir.

Les jambes avancèrent lentement dans de nouveaux craquements de brindilles. Le rayon de lumière dorée remonta le long de la silhouette inconnue.

Mais avant que son visage ne soit dévoilé, un éclatement de rire lui en révéla l’identité.

- Vous !

- Naturellement ! Vous attendiez une elfe peut-être ?

Qu’est-ce que vous foutez là-haut mon vieux ?

Vous êtes ridicule, vraiment je vous croyais plus habile que ça !

Ne prêtant guère attention à ces paroles, Paul examina sous un regard nouveau la superbe silhouette de C. L-S. qui s’avançait vers son nadir, le parachute en boule entre ses bras.

- Si vous n’aviez pas pris de panique reprit-elle, Vous ne seriez pas là-haut !

Eh ! Attention !

Dans un long bruit de déchirement final, Raphaël alla finalement terminer sa course au pied de l’arbre, renversant la femme aux jambes d’or.

Au milieu d’un mélange de parachutes et de fougères, une main cherchait la sortie.

Enfin une tête émergea, des morceaux de fougères dans les cheveux tout ébouriffés.

Raphaël éclata de rire sous la toile de Nylon gonflée avant d’émerger à son tour. Léa le regarda avec étonnement. Il souriait aux anges.

- Ça va ? Je ne vous ai pas fait mal au moins ?

Elle secoua la tête silencieusement. Obéron regarda la longue chevelure pleine de feuilles.

- Vous êtes très jolie ainsi ! Laissez-moi vous débarrasser de ces morceaux…

Mais au lieu de la débarrasser de ses fougères, il plongea sa main dans ses cheveux et se pencha sur elle en ramenant sa nuque en douceur vers lui.

- Je ne suis pas contente du tout, notre radar est… fit Crystaléa Lowen-Soissanth sur un ton inadéquat en ne terminant pas sa phrase. Ses yeux brillants ne pouvaient fixer plus longtemps le regard de Paul. Cette situation rapprochée la troublait énormément. Il l’embrassa avant qu’elle n’ose sortir de son emprise.

Léa essaya sans conviction de résister. Ce baiser lui plaisait et elle n’osait l’interrompre.

Quand leurs lèvres se quittèrent, elle feignit la colère.

- Vous n’auriez jamais du faire cela ! Ne recommencez pas ! lui fit-elle très hypocritement.

Obéron n’y crut pas un instant.

- Qu’est-ce qu’il a le radar ?

- Cassé ! Foutu ! J’ai cogné le sac ventral traversant la cime des arbres !

Cette fois sa colère était réelle.

- Bon ! Au moins ce n’est pas de ma faute, ce n’est pas ma chute sur vous qui…

- Pas votre faute ? Mais à cause de qui ai-je dû sauter à mon tour de la plate-forme sans avoir confirmation radar ? Qui a paniqué, hein ?

- Belle excuse ! Admettez plutôt que votre atterrissage n’était pas parfait non plus !

- Allez, levez-vous et allons-y avant que je n’oublie la direction de " l’anomalie ".

- Avec cette sacrée chute, je serai incapable de dire dans quelle direction elle se trouve. C’est une chance, que vous vous en souveniez, fit Obéron moqueur. Elle lui lança un regard mauvais le défiant de réessayer ce genre d’humour.

- Au fait, qu’avez-vous crié tout à l’heure ?

- Ne bougez pas de votre point de chute ! Crystaléa laissa s’échapper un sourire, repensant au baiser qu’elle avait reçu.

- Que fait-on des parachutes ?

- J’ai vu en venant ici un tronc creux qui sera parfait pour les y cacher. Suivez-moi.

*

- Avouez que tout n’est pas clair dans votre histoire. Si j’étais si important pour vous, pourquoi alors m’avoir laissé partir si près de l’ennemi sans protection ?

- Mais vous êtes parti avec une protection ! Vous portiez un implant destiné à minimiser l’effet des drogues guendjaaliennes si vous étiez fait prisonnier. Maintenant que je vous ai libéré, notre équipe médicale va analyser cette " boite noire " comme on disait apparemment sur Gaïa ! Vous vous en doutez, les informations que vous contenez sont capitales pour nous !

- Mais les PM, ils ont dû le voir cet implant au scanneur ! Ils ont dû me l’enlever.

- J’en doute. Tout ce qu’ils auraient pu voir au scanneur c’est un pancréas artificiel !

Il agit comme un filtre-analyseur et connaît 12600 formes de drogues psychotropes. Il a détruit une partie des drogues qui vous effaçait la mémoire de façon définitive mais pas celles qui permettait de vous intégrer parfaitement à la matrice. Sans quoi, les guendjaaliens auraient vite compris le subterfuge.

- Alors à quoi bon ?

- Quand son contenu sera entre vos mains, avec vos récentes connaissances de neurologie, l’antidote pourra être synthétisé et nous pourrons lancer alors cette attaque tant attendue !

- Pourquoi me l’avoir caché sur le toit de la citadelle ?

- J’avais suffisamment d’autres choses à raconter en attendant le bip radio d’autant que ce n’était pas le meilleur endroit pour en parler ! De plus je ne voulais pas vous soûler avec cela.

- C’est vrai, je vous l’accorde.

Presque imperceptiblement, un changement s’opérait tout autour d’eux. L’atmosphère était étrange. Les rayons jaunes du soleil filtré à travers les arbres étaient peut-être pour quelque chose dans cette vision de la forêt qu’avaient ressenti séparément Crystaléa et Raphaël.

- On se croirait en plein film de conte de fées, la lumière a ici un aspect très " Cinéma Fantastique " ! D’ailleurs à ce propos j’aimerais vous demander une chose.

- Vous savez, je n’y connais rien en cinéma, c’est quelque chose que vous seul pouvez avoir connu grâce aux chambres de R.A.O.. Aujourd’hui les films ne se font plus. Tout ce qu’on crée n’a rien de près ou de loin en commun avec ce que vous appelez des " films ".

Je vous envie, au fond, d’avoir ainsi " visité " le XXième siècle, j’en viens à en être jalouse de vous car la préhistoire est ma passion.

Bien entendu, cette passion n’a été ranimée que depuis cette mission autrement, elle avait été mise de côté comme tous mes autres loisirs depuis le début de la guerre.

- Préhistoire ! Non mais soyez polie !

- Excusez-moi mais je n’ai pas dit ça pour vous vexer !

- Ce n’est pas de cinéma dont je veux discuter mais d’illusions.

(- Oh-ho !)

- Comment se fait-il que j’ai pu être à ce point dupé par les images d’ordinateur ? Comment se fait-il que je ne me sois jamais rendu compte de la virtualité des objets, leur apparence ne m’a jamais paru artificielle, alors hein ? Comment m’expliquez-vous ça ?

- Les images dont vous parlez sont en réalité des concepts et l’ordinateur n’envoie pas une image mais un code compris par votre cerveau.

Ce ne sont pas des images d’un monde virtuel que l’ordinateur vous envoie sur la rétine mais un signal électrique directement " assimilé " par votre cerveau et c’est là que réside toute l’astuce de la R.A.O..

- Je ne comprends pas ! Un signal électrique, dites-vous?

- L’ordinateur de R.A.O. selon les directives du Circuit d’Autonomie Virtuelle vous envoie des bribes d’informations que votre cerveau étoffe lui-même. C’est une sorte d’auto-illusion.

- ?

- Par exemple, dans vos rêves sur terre 1997, si vous vous trouviez dans une forêt virtuelle et non dans une forêt réelle comme celle-ci, l’ordinateur n’avait qu’à utiliser vos souvenirs d’images et de sensations que vous aviez déjà ressenties dans une forêt réelle. La texture du bois était parfaitement " rendue " parce que notre mémoire est la plus belle invention de la nature.

- Je commence à comprendre… hocha Raphaël.

Ainsi, techniquement, il ne s’agit pas d’un cinéma 3D+g perfectionné mais d’une véritable communication ordinateur-cerveau en " langue mnémonique ".

- Voilà, vous y êtes ! fit Léa réjouie. Le R.A.O. n’utilise donc pas autant de mémoire puisqu’il ne fait qu’utiliser ce que vous avez déjà appris auparavant. Un concept mnémonique tient moins de place que sa représentation complète. C’est pour cela que les mondes virtuels ont toutes les apparences d’un monde réel. J’ai beaucoup simplifié le principe mais c’est à peu près ça.

Vos difficultés proviennent du fait que vous avez " vécu " la naissance des mondes virtuels et ce qu’on appelait mondes virtuels sur Terre en 1997 était aussi proche de l’univertuel actuel que l’était l’homo sapiens de l’homo nuovo.

- Mais attendez alors ! reprit aussitôt Obéron, alors que Lowen-Soissanth se remettait en marche à bonne allure. Si ce que l’on vient de dire est vrai, il n’est donc pas possible de voir de différence entre la réalité et le signal de R.A.O. !

- En réalité ce n’est pas aussi simple que cela.

Si le sujet sous R.A.O. est conscient qu’il s’agit d’une illusion parfaite, s’il se réveille dans le rêve comme disent certains spécialistes, cela affecte sa " vision " du monde virtuel mais comme je n’ai pas vécu cela, je ne saurai vous dire ce qu’il advient ensuite. Probable que le rêve s’interrompt…

Pour que la R.A.O. soit indifférenciable de la réalité, il faut que le sujet perde pied ou qu’il soit artificiellement bloqué dans un état de sommeil paradoxal sans quoi cela ne serait pas possible. Dans ces conditions, il acceptera tout ce qu’on lui donnera dès son faux réveil de l’autre côté du miroir.

Le sujet ne s’apercevra de rien pourvu qu’il ne se souvienne pas trop des événements qui l’ont conduit à se brancher ou à être branché sur RAO. Il faut donc attendre qu’il s’endorme le plus naturellement possible et le placer sous RAO.

Ensuite, son " réveil " de l’autre côté doit être parfaitement préparé, en particulier à l’aide d’implants.

Les guendjaaliens utilisent des drogues puissantes pour provoquer une amnésie mais il reste toujours des bribes de souvenirs de sa vie avant l’implant. Ces restes sont " retournés " pour que le sujet les prenne pour des souvenirs de rêves et qu’il croit qu’il ne rêve plus alors que c’est l’inverse !

- C’est comme ces rêves si proches de la réalité qu’on oublie qu’il s’agit de rêves. Parfois même après le réveil, ils prennent l’apparence de souvenirs d’actions réellement accomplies. Cela est souvent très troublant. On finit par confondre ces souvenirs de rêves avec des souvenirs de choses s’étant réellement passées.

Cela a dû vous arriver, n’est-ce pas ?

- Non, je ne crois pas mais je vois tout à fait ce que vous voulez dire : lorsqu’on subit ces faux réveils en entrant sous R.A.O. la réalité dont on se souvient malgré les drogues est maquillée pour ressembler à un de ces rêves hyperréalistes.

C’est bien ainsi que procède les guendjaaliens pour vous faire traverser le miroir et vous retourner comme une crêpe.

- Ainsi, mon arrivée sur Terre 1997 commence à partir d’un rêve de ma vie antérieure à Jaazlée, c’est cela ?

- Oui, mais ce rêve a pu se passer il y a longtemps dans votre vie implantée car nous avons appris que les guendjaaliens utilisent une technique très efficace pour que l’implant soit parfait. En effet lorsqu’ils vous " réveillent " de l’autre côté, vous pouvez avoir dix ans comme vingt-cinq ! Comme le temps n’est pas linéaire sous R.A.O., ils peuvent vous faire grandir par implants successifs jusqu’à votre âge réel. Ainsi, entre deux sauts-implants, vous vous créez vous-même des " vrais " souvenirs en agissant momentanément à votre guise !

De cette manière, vos souvenirs de vie sur Terre en 1997 sont un mélange d’implants et d’actions virtuelles que vous avez faites " réellement ".

Raphaël Obéron crispa la mâchoire.

- Je sais qu’il me sera toujours difficile d’admettre cette vérité mais néanmoins quelque chose ne va pas dans votre explication !

- Ah ! laquelle ?

- Je n’ai pas le souvenir d’avoir rêvé une seule fois de Thagama, de Jaazlée ou d’autres choses liées à ce monde. Pourtant je notais souvent sur une feuille mes rêves les plus étranges. Cela m’aidait à écrire mes nouvelles de science-fiction pour le fanzine du club Hypernova…

Et puis comment expliquez-vous qu’on puisse rêver dans un Rêve Assisté par Ordinateur ?

- Vous m’en demandez trop ! Je sais que cela est possible mais je ne saurai vous donner d’amples détails sur la technique utilisée. Peut-être vous orientent-ils pendant ce sommeil rêvé sur un autre monde où tout est possible puis vous font revenir à votre vie rêvée. J’avoue que je ne sais pas.

Pour ce qui est de ce fameux faux réveil avec souvenir de la réalité sous forme de souvenir de rêve, il est impossible que vous ne vous en souveniez pas ! C’est un rêve bien trop marquant, bon sang ! À moins que les drogues amnésiques aient eu sur vous un effet si grand qu’aucun souvenir de réalité n’ait eu à être retourné et cela malgré votre pancréas artificiel…

- Non, je suis certain de n’avoir jamais rêvé de votre univers ! La preuve ? À la lecture du livret d’antécorrespondance, à l’évocation de mon propre personnage, je n’ai jamais senti cette impression de déjà vu. Jamais vous m’entendez, je ne me suis rappelé grâce à votre antécorrespondance ma vie d’autrefois. Pourtant c’était bien le but de l’Anté., n’est-ce pas ?

- Oui… Je ne comprends pas… Pourtant vous êtes bien Paul-Raphaël Obéron, chef de l’unité CD4, envoyé en mission de l’autre côté de…

- Je n’en suis pas si sûr, coupa Obéron. Lorsque je lisais les descriptions de la vie de mon personnage, jamais je n’ai eu l’impression déconcertante d’avoir déjà vécu ce que je lisais… Jamais ça ne m’a rappelé un rêve aux allures de souvenirs de faits réels…

Crystaléa fut profondément attristée. Comme elle aurait voulu l’aider à supporter son DREAMLAG ! Mais malgré cela, elle ne pouvait s’empêcher de répéter sans cesse : je ne comprends pas…

- Par contre, reprit Raphaël avec une certaine note d’optimisme, je suis catégorique, votre visage m’est apparu dans mes rêves. Maintenant que vous êtes si proche de moi, je ne peux plus en douter !

- Ah ! Vous voyez…

- Hélas, ce visage ne fut jamais associé à des éléments de cet univers-ci. Ça parlait souvent d’eau, de radioactivité ou bien de guerre mais jamais de Jaazlée…

- Qui sait ce qu’il peut se passer dans le rêve d’un rêve ! gloussa Lowen.

Obéron n’était pas d’humeur à rire.

- Écoutez, je suis désolée reprit-elle doucement en sautant par-dessus un tronc pourri. Il faut me croire, même si la réalité dépasse votre fiction. Cet univers est le vôtre aussi et votre vie en tant que professeur de Neurologie sur Terre en 1997 n’était qu’un R.A.O.. Vous n’êtes pas en train de rêver de moi sur votre lit " là-bas " ! Croyez-moi sur parole, je vous en supplie, mon… Lowen-Soissanth se mordit les lèvres pour éviter de dire une nouvelle fois ce qu’elle avait si longtemps prononcé autrefois. Mais combien de temps garderait-elle encore secrets ces mots chers dans sa bouche et dans son coeur.

Un autre lapsus linguae et c’en serait fini de la confiance qu’il avait pour elle.

Raphaël, intrigué, se pencha pour éviter la branche basse d’un arbre et la rattrapa.

- Qu’alliez-vous dire ?

- " Mon commandant "… autrefois il fallait vous appeler par votre prénom, allez ! Venez ! fit-elle en se retournant pour éviter son regard interrogateur.

- Dites, Crystaléa, fit-il doucement, puisque le R.A.O. est si parfait, quand j’étais sur Terre 1997, jamais sans votre aide je ne me serais aperçu de la supercherie, n’est-ce pas ?

- Oui, rien de ce que vous " voyiez " n’aurait pu vous mettre dans le doute d’être du bon ou du mauvais côté du miroir rêve-réalité, à moins bien sûr d’une panne d’un des circuits de R.A.O..

- Alors si c’est ainsi, qu’est-ce qui me prouve que je ne suis pas encore en train de rêver maintenant, victimes d’une autre machine à rêve ? Qu’est-ce qui NOUS prouve que nous ne sommes pas allongés quelque part dans un monde dont nous avons oublié l’existence ?

C. L.-Soissanth s’était arrêtée, pétrifiée.

- Regardez-moi, lui dit-il en la prenant par le bras. Répondez-moi ! insista-t-il.

- Rien, souffla-t-elle enfin.

Il n’y a rien en effet qui ne nous prouve que tout ceci ne soit pas une gigantesque supercherie.

- Alors cette forêt que vous ne connaissez pas, ces soi-disants rebelles et cette guerre aussi ne sont peut-être que le décor d’un nouveau monde virtuel ?

- Le cinéma 3D&g d’abord, Terre 1997 et maintenant Thagama 2074 ? Tout cela ne serait qu’une suite de mondes virtuels concentriques, inclus les uns dans les autres ?

Vous avez une de ces imaginations ! Le Dreamlag vous a plus durement touché que je ne croyais, vous savez ce que vous êtes en train de me faire ? lui débita-t-elle.

- Oui, dit Raphaël Obéron penaud, de la Paranoïa.

Et tout ça sûrement parce que vous nous avez perdus dans cette forêt à la con !

La belle avait raison. Cette paranoïa devenait ridicule.

- Léa, je suis vraiment perdu depuis mon réveil dans la citadelle des songes. Je ne cesse de me demander si le cauchemar vient de cesser ou s’il vient seulement de commencer ?

Ai-je vraiment rêvé cette vie de 1970 à 1997 ? Suis-je réellement ce Paul ou ceci n’est-il qu’un rêve depuis mon retour du jazz-club " la panthère rose " ? Après tout suis-je peut-être encore sur mon lit, nez contre livret rêvant de tout ceci.

Et si l’histoire des R.A.O. est vraie, suis-je sorti de l’illusion ?

Obéron soupira en levant les mains, paumes vers le ciel. Il sauta par-dessus un tronc d’arbre couché en travers de son chemin et la rattrapa.

Cela devenait trop complexe pour lui. Il lui fallait admettre sans comprendre. Ce qu’il avait fait enfant en mathématique, il le ferait à nouveau. Inutile de se tourmenter, rien ne lui permettrait jamais de démontrer ou réfuter la réalité de ce monde. C’était un axiome dont il ne devait pas douter.

- Veuillez m’excuser mais admettez-le, ce que je vis là n’est pas facile à vivre.

- C’est moi qui vous dois des excuses. J’aurai dû être plus compréhensive avec vous. Oubliez ma colère injustifiée s’il vous plaît. C’est au fond ma faute si nous sommes là. J’aurai dû vous préparer à sauter plutôt que de vous raconter tout ça. Le moment n’était pas propice. Quant au radar, il est inutile sans la parabole. Qu’il marche ou non, on s’en contrefiche.

Raphaël lui rendit son sourire. Quand cette femme lui souriait, il préférait se taire et la regarder. Ses jambes gracieuses effleurèrent les fougères en s’approchant de lui. Ses yeux débarrassés de leurs lentilles avaient retrouvé leur douceur naturelle et brillaient de tout feu. Ils se regardèrent ainsi un moment sans échanger un mot.

Obéron pensait qu’il n’aurait jamais cru que son genre de fille était une fille à la peau jaune-vert, cheveux roux-châtains et les yeux variant du violet au noisette.

- Allez, venez-là, conclut-elle et elle l’embrassa avec fougue.

Lorsque le second baiser s’acheva, Raphaël se lança :

- Crystaléa, je vous aime ! Je…

Léa posa son index sur ses lèvres.

- Je t’aime aussi, Paul et depuis si longtemps !

Que ta mémoire te soit rendue ou non n’a plus d’importance maintenant. Je t’ai retrouvé. Et je peux tout te dire.

Elle m’aime ! Merveilleux ! Mais elle me tutoie à présent !

- Si j’ai insisté pour faire cette mission à la place de tout autre, c’est que, pardonne-moi de te l’avoir caché et ne crois surtout pas que je profite de ton amnésie, je devais devenir ta femme avant ton arrestation. Je ne veux pas t’influencer en te disant cela mais je sens que tout peut redevenir comme avant. N’est-ce pas ?

- Oui, mon amour pour toi est vrai. Et je me fous de savoir si je rêve à présent.

Ils s’enlacèrent à nouveau. Cette fois sans retenue de part et d’autre. Les fougères furent les seuls témoins de la renaissance de leur amour, un amour fort, un amour vrai.

Faire l’amour dans les fougères avec tant de passion leur redonna force et confiance mutuelle.

Jamais Obéron ne s’était sentit aussi bien que lorsqu’il se releva d’entre les habits étalés sur les fougères couchées. S’il avait eu un calendrier et s’il avait pu savoir la date du jour, il aurait marqué ce jour d’un gros coeur.

- Il est temps de repartir, nous sommes malheureusement attendus !

- Ils peuvent attendre encore un peu. Je t’ai attendu si longtemps !

- Que devrais-je dire… murmura Crystaléa avant de l’embrasser à nouveau.

*

- On a marché suffisamment, je pense ; on ne doit plus être très loin de cette zone très spéciale, enfin, si nous sommes toujours dans la bonne direction.

- Ça, j’en suis certaine. La tâche de végétation " trouble " doit être en effet très proche, regarde comment la végétation change au fur et à mesure qu’on avance, c’est un signe !

- Mais non, regarde mieux, la végétation ne change pas c’est les couleurs qui se fondent ! Regarde par là, tout est diffus, comme estompé par un brouillard invisible. Je n’aime pas du tout ça !

- J’ai l’impression que quelqu’un a gommé le décor ici. Vraiment étrange, n’est-ce pas ?

-…non, vraiment pas du tout ça, répéta Obéron à demi-mot.

Plus nous avançons et plus la forêt blanchit !

- Le sol aussi. Tout y passe ! Qu’est-ce qui peut provoquer cela ? s’inquiéta Crystaléa qui jusque là n’avait pas montré une seule fois sa peur.

Paul-Raphaël s’avança à nouveau, tentant de toucher l’arbre face à lui dont une partie semblait presque transparente.

- L’arbre est là. Bien là ! C’est une illusion d’optique. Mais qu’est-ce qui a bien pu causer ça ?

- Je n’en suis pas sûre mais je pense qu’il s’agit de notre dernière arme passive. Elle n’était pas terminée lorsque je suis partie te délivrer. Apparemment, elle l’est maintenant !

- Mais qu’est-ce que c’est, grand univers !?

- C’est une barrière énergétique " d’aveuglement cérébral ". Elle est liée aux techniques de RAO dont nous sommes les inventeurs. (D’ailleurs de quoi ne sommes-nous pas les inventeurs sur Thagama ?)

- Aveuglement cérébral ? fit Obéron qui prenait à présent la chose au sérieux.

- En réalité c’est une illusion de plus ! Notre machine est basée sur le même principe que celui des rêves assistés par ordinateur, à la différence qu’elle envoie à des personnes réveillées le message " Néant ". Toute personne non protégée entrant dans son rayon d’action, perçoit le néant autour d’elle. Elle est comme aveuglée. On peut alors la " cueillir ".

- Je vois ! Les arbres et la forêt sont encore là comme on s’en doutait. (D’ailleurs j’arrive encore à les voir un peu si je me concentre mentalement.) J’avais donc raison : nous sommes proches de la base tant attendue !

- Le problème est qu’ils ne nous savent peut-être pas dans le coin !

- Tu as parlé d’une protection ?

- Lorsque j’ai pris connaissance de ce projet, il y avait deux possibilités de traverser cette barrière sans encombre. La première consistait en un appareillage miniature disposé dans un casque. La seconde était basée sur le principe du mot de passe. Je ne sais pas quel a été leur choix.

- Il va nous falloir traverser cette barrière ! Le temps n’est pas avec nous. Les PM doivent maintenant avoir découvert ta petite interface et sont sûrement déjà à notre recherche !

- Tu as raison mais comment traverser le néant ?

- C’est une illusion de néant. Fermons les yeux, tenons-nous la main et avançons à tâtons !

- Le néant ne concerne pas que la vue. Ici, nous sentons encore le sol et les arbres même s’ils sont partiellement visibles. Une fois atteint le centre de la barrière, nous ne sentirons plus rien, n’entendrons plus rien. Parler sera inutile. Revenir sera impossible !

- Vide ton esprit de ces doutes. Concentre-toi uniquement sur une seule idée : Je vais entrer dans la base, répète avec moi ! Je vais entrer dans la base… Je vais entrer dans la base.

- Je vais entrer dans la base, répéta Lowen-Soissanth, à présent totalement entre les mains de son homme.

- Viens, allons-y, fit Obéron en la prenant fermement par la main.

Et les couleurs des arbres disparurent progressivement de concert avec celles du sol et des buissons.

Raphaël garda un moment les yeux ouverts.

Au début, cela ressemblait encore à ces vieux hologrammes, la réalité était délavée.

La main de C.L-S. serra la sienne.

Un pas encore et la page serait blanche. Obéron ferma les yeux. Ils entraient dans le Néant.

Une pensée étrange revint soudain à la mémoire de Raphaël. L’analogie constatée entre le nom de son aimée et Clear-Screen lui glaça le sang. Les jaazléniens de l’autre côté de la barrière venaient de presser en lui le bouton CLS. Ou peut-être y avait-il quelque chose de plus grand encore. Étaient-ils dans un autre rêve assisté par ordinateur. Un monde contenant un monde contenant un monde ? Ses premiers doutes recommençaient-ils ?

Quelqu’un s’amusait-il en le faisant délivrer d’un premier RAO par une personne virtuelle au nom bien évocateur de CLS ? Obéron essaya de s’en dissuader. Son amour pour Crystaléa vainquit ces nouveaux doutes. C’est vrai, cette coïncidence n’avait aucune signification. À quoi cela aurait-il rimé ? Il était bien dans la réalité. Certes une réalité délavée, blanchie mais une réalité néanmoins !

Comme lorsqu’il était face à l’écran blanc de Gar, son ordinateur soi-disant virtuel, il se concentra pour remplir la page blanche.

Raphaël pensa un instant qu’il venait de trouver la " clé ". Plein de courage, il ouvrit les yeux.

Lorsqu’il parvint à se concentrer suffisamment, Crystaléa réapparut au bout de sa main et il aperçut ensuite ceux qui l’attendaient au coeur de la " barrière blanche ".

Après quelque temps, ils parvinrent à communiquer ensemble, mais déjà Raphaël avait compris qu’il ne s’agissait plus de l’asile tant attendu.

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