Premiers Doutes - Chapitre 2

Premiers Doutes - Chapitre 2

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Chapitre 2 : Fizz

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FIZZ

Raphaël avançait d’un pas rapide dans le couloir qui le menait à son appartement de fonction.

Tout en marchant, il sortit de sa poche de blouson son téléphone sans fil et composa son propre numéro.

Une voix féminine et terriblement sensuelle lui répondit.

- Allô ! vous êtes bien chez Raphaël Obéron, Professeur de neurologie fondamentale mais il est malheureusement absent pour le moment. Vous êtes en communication avec Gar, domordinateur de la 5egénération de chez Finger compagnie. Laissez un message après le bip sonore s’il vous plaît, merci beaucoup ! Si vous avez des questions à me poser, je serai ravie d’essayer d’y répondre !

- Ici Raphaël Obéron, Communication directe, Code Brainstorm-4.

Raphaël fit une pause afin d’entendre le signal de connexion directe avec le système-expert de reconnaissance vocale de Gar.

- Gar en communication… Bip-clic !

Raphaël remarqua à peine le changement de voix de l’interface-utilisateur de Gar. L’impatience marquait alors son visage.

- Gar, y a-t-il du courrier pour moi ?

- Oui, des factures, une lettre du ministère des finances, une carte postale provenant de Madagascar et des publicités.

- Y a-t-il des fax et du courrier dans ma boîte à lettres télématique ?

- Pas de fax mais un document de 340 Mégaoctets est arrivé ce matin dans votre B.A.L.T.

- 340 Méga ! Mais qu’est-ce que c’est ?

- Veuillez reformuler votre demande, s’il vous plaît !

- Lecture de la première page du document contenu dans ma B.A.L.T. !

- DREAMWAR ou l’enfer des miroirs, Livret d’antécorrespondance, fascicule THAGAMA 2074 après V>C.

Naïvement, Raphaël attendit à l’autre bout que Gar continue sa lecture mais, au bout d’un long silence, il reprit avec étonnement :

- Gar ? Allô !

- Gar en attente, fit la voix féminine à l’autre bout du " fil ".

- Ordre précédent exécuté entièrement ? réclama Obéron intrigué.

- Oui.

- Ah oui, j’y suis ! C’est la couverture ! s’exclama Obéron.

Quel idiot je fais, croire qu’il va anticiper mes ordres ! Ce n’est après tout qu’une machine plus ou moins bien programmée !

- Je voulais que tu lises la première page banane ! Pas la couverture !

- Reformuler demande, s’il vous plaît !

Raphaël marmonna dans sa barbe quelque injure envers Gar et reprit d’une voix sèche :

- Imprime le document avec la laser couleur, ordonna-t-il en rapprochant le combiné de sa bouche.

- Il n’y a pas assez de feuilles dans le chargeur. Faut-il quand même imprimer le début ?

- Oui ! J’arrive. Sors le beurre du frigo. Fin-com !

- Compris, fin de communication !

Alors qu’il remettait son téléphone de poche dans son blouson, Obéron s’aperçut que les gens autour de lui le regardaient bizarrement. Il lui fallut quelques instants avant de comprendre que sa conversation avec Gar avait surpris plus d’un passant. Certains d’entre-eux n’avaient sans doute vu qu’au dernier moment le micro-combiné de téléphone et avaient cru croiser un fou qui parlait tout seul dans les couloirs du campus !

Tout à coup Raphaël réalisa qu’il avait marché mécaniquement pendant son coup de téléphone et chercha à savoir où ses jambes (et son cervelet) l’avaient emmené.

Raphaël n’eut aucun mal à reconnaître l’endroit. Il était dans le plus long couloir du campus : près de quatre cents mètres de tunnel. Un rallongement pour les piétons mais pas pour Raphaël.

Celui-ci sortit de ses poches quatre roues de patins à roulettes démontables et leva successivement ses pieds pour enlever la semelle centrale de protection des fixations. Puis il fixa les roues sur la semelle principale de ses chaussures dans un " fizz " qui n’était pas sans rappeler le nom de la marque de ces rollers démontables. Obéron roula les semelles de marche et les fourra dans la poche qui ne contenait pas le téléphone.

Raphaël prit quelques foulées d’élan et s’élança rapidement dans le " tube ".

Tout en évitant les courageux qui n’avaient pas emprunté le tapis roulant express, Raphaël porta son attention sur les publicités placardées sur le mur de gauche.

L’une d’entre elles vantait justement les mérites des rollers FIZZ : " Roulez en patins en toute liberté sans changer de chaussures, essayez vite les rollers escamotables FIZZ ! "

Obéron jugea le slogan nul mais admit que ces patins à roulettes démontables étaient géniaux ! Leur principe était simple mais Raphaël Obéron avait attendu longtemps avant de pouvoir en profiter. Il lui suffisait de faire coulisser la semelle de marche et de fixer, dans les logements ainsi mis à nus, les quatre roues légères mais résistantes.

Le reste du temps, il rangeait les roues dans ses poches et replaçait la semelle de marche pour protéger les fixations escamotables des roues.

Une publicité plus à ses goûts attira alors son attention. Avant même d’en percevoir le message, Raphaël aima cette publicité.

Primo, elle n’était pas figée. En effet, à l’encontre de sa consoeur, elle n’était pas imprimée sur du papier mais s’animait sur un écran de bonne taille. Sachant éviter la maladresse de la réclame FIZZ, sa présentation moderne avait le style qu’il fallait pour accrocher le client type, en l’occurrence Raphaël Obéron.

Secundo, elle annonçait le lancement du tout nouveau gant de donnée ou " gant-sentant " de chez VPGL. Obéron n’aurait pas hésité à l’acheter s’il n’avait été déjà en possession d’un gant de cette même firme.

Il se surprit alors à rêvasser à ces tout nouveaux gants alors qu’il roulait maintenant à vive allure. Heureusement la voie était dégagée ! Ses pensées, brièvement détournées de leur objet revinrent aussitôt vers les fameux gants informatiques. Obéron s’amusa à faire le bilan de cette invention relativement récente.

Après la révolution de la souris, le monde informatique avait subi une nouvelle jeunesse avec l’apparition des gants de données et du cybercasque pour cyberspace.

Depuis presque une dizaine d’années maintenant, manipuler des objets virtuels (parce que n’existant que dans la mémoire de l’ordinateur) était alors devenu une réalité !

Malheureusement, cela coûtait encore trop cher pour le quidam ! Comme tout produit informatique, il faudrait dix ans pour démocratiser ces objets fabuleux, loi du marché oblige !

Pour le moment, seuls les entreprises et les particuliers aisés pouvaient se permettre d’en posséder. Le salaire de professeur d’Obéron n’aurait pu le ranger parmi les seconds cependant il était l’heureux propriétaire d’un gant de donnée (entre autres choses coûteuses) : presque tout son salaire passait en effet dans l’achat de " matos " ! C’était son péché mignon !

Son psychanalyste le lui avait expliqué en des termes bien vite oubliés. Raph rit doucement en pensant qu’il avait fini par arrêter de voir son psy et qu’il avait dépensé l’économie ainsi réalisée dans on ne sait quel appareil informatique.

Néanmoins, Raphaël ne se considérait pas comme une victime de la société de consommation. Bien au contraire, il se disait être insensible à la publicité. Mais voilà, sa passion des gadgets électroniques avait toujours raison de son porte-monnaie.

Oh ! bien sûr, ils n’étaient jamais complètement inutiles mais en y réfléchissant bien, Obéron admettait souvent qu’il aurait pu s’en passer…

… en faisant à l’ancienne. Le hic, c’est qu’Obéron n’aimait pas faire " à l’ancienne ". Il lui fallait un agenda électronique quand un simple carnet de papier bien organisé pouvait suffire.

Le psy avait dit qu’il projetait dans ces objets de l’aube du vingt-et-unième siècle sa peur de ne pas passer le millénaire, sa peur aussi de vieillir, de devenir sénile avant l’âge, parce que tout petit, la vue de son oncle très touché par la maladie d’Alzheimer… " Bla bla bla. " fit une petite voix dans la tête d’Obéron. Ces balbutiements reflétaient sa façon à lui de voir les choses : il se fichait bien que ce soit de la " consommatite psychoaffective " ou autre chose.

L’essentiel était qu’il se sente bien dans sa peau ! Naturellement, il aurait été parfaitement heureux si une jolie fille lui avait tenu la main en cet instant mais puisque tel n’était pas le cas, il fallait faire sans !

La voix de sa marraine resurgit du passé pour lui rappeler encore une fois sa devise : " Think positive ! ".

L’ébauche d’un sourire naquit sur son visage comme il atteignait l’extrémité du plus long couloir du campus.

*

Pendant ce temps là, Gar, le domordinateur de Raphaël, lançait sa commande d’activation à distance de Bidule. Ce dernier se trouvait au milieu du salon sous la table basse lorsqu’il reçut l’ordre d’aller dans la cuisine et de se placer en «X45-Y22» et de sortir son mini-plateau.

Dans la cuisine, au même moment s’activait déjà le bras-robot. Il venait d’ouvrir la porte du réfrigérateur (comme l’indiquaient les premières lignes du protocole domotique ­« sors-le-beurre-du-frigo ») quand Bidule vint, pile au bon moment, se placer à l’endroit programmé pour recevoir le beurrier sur son mini-plateau. Le bras-robot referma la porte du réfrigérateur et Bidule glissa vers le colimaçon qui menait sur le plan de travail de la cuisine. Là, il déchargea de façon brutale le beurrier de son mini-plateau, redescendit du meuble de cuisine par le même colimaçon de bois et alla de nouveau déambuler dans le salon suivant son protocole domotique n°1.

Au moment où Bidule atteignit la moquette du salon, l’écran du salon effaça l’imitation de papier peint pour le remplacer par l’image du seuil de l’appartement. Le détecteur de présence de Gar venait en effet de faire son job : quelqu’un venait de se planter bien face à la caméra placée au-dessus de la porte d’entrée de l’appartement de Raphaël Obéron.

*

Raphaël nota cette fois que la voix de Gar était celle qui n’était pas faite pour plaire.

- Placez votre oeil face au judas et détendez-vous, s’il vous plaît, hacha la voix de celui-ci.

Raphaël essaya de s’imaginer ce que pouvait représenter 340 Mégaoctets imprimés sur papier. Il espéra qu’il n’aurait pas à regretter son ordre puis il se rassura presque aussitôt en pensant que le document devait sans doute contenir de nombreuses photos, gourmandes en mémoires.

- Identification complète, bienvenue chez vous Maître, fit la voix de Marty Feldmann comme dans Frankenstein junior.

Obéron entra dans son salon. Celui-ci était jonché de feuilles imprimées. Un rapide coup d’oeil vers l’imprimante laser lui expliqua qu’une feuille s’était coincée et avait agi comme un tremplin pour les feuilles suivantes. Raphaël remercia le hasard de ne pas lui avoir rappelé de recharger l’imprimante en feuille.

Il avança vers la cuisine et décida qu’il ramasserait tout ce " Biiiiiip " après manger.

*