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Premiers Doutes - Chapitre 20

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Chapitre 20 - Interonirisme

20

Interonirisme

- Avez-vous remarqué comment ces lieux sont conçus ?

- Comment cela ?

- Je veux parler de l’étonnante facilité qu’on a eue à se servir de tout ce qui nous entoure. Tout est accessible, compréhensible et automatisé au maximum ! Comme si on s’était dit que celui ou celle qui se réveillerait ici aurait totalement oublié l’usage de chaque chose.

- Ça n’est que le signe d’une conception intelligente !

- Non, non, regardez bien, tenez par exemple ce distributeur, on dirait carrément qu’il a été conçu pour que, même des enfants de cinq ans puissent s’en servir !

- C’est pourtant vrai ! Alors cela signifie que ceux qui nous ont placés ici avaient prévu la possibilité qu’on se réveille idiot ou amnésique.

- Ou bien avec un âge mental de cinq ans !

Malcom approuva de la tête, le visage à présent très sérieux.

Raphaël brossa ses manches pleines de poussière et poursuivit :

- Cette couche de poussière indique que ces gens ont voulu nous faire dormir très longtemps, peut-être plus que ce que nous avons déjà fait, et ils espéraient que notre mémoire antéléthargique " tienne le coup ". Mais dans l’impossibilité de le savoir, ils ont conçu ces lieux pour permettre la survie dans n’importe quelle hypothèse postléthargique.

- Il est donc à parier qu’il existe ailleurs qu’ici des structures d’accueil pour les premiers réveillés ne nécessitant que de l’intuition et du bon sens !

- Je ne sais pas si vous êtes comme moi, l’interrompit Raphaël, mais je me sens bizarre depuis que j’ai mangé !

- Bizarre ? Vous croyez que la nourriture n’était pas consommable ?

- Non, du tout, j’ai l’impression qu’il y avait de la drogue dans la nourriture.

- Un poison ?

- Non, au contraire, des médicaments pour la mémoire. Si l’on devait rester dans cet abri antiatomique aussi longtemps, notre mémoire séculaire risquait d’être effacée par les rêves. Les types qui ont fait cet abri ont dû y penser.

- Pour la mémoire… répéta Mu-Sharon, à présent que vous me le faites remarquer, j’ai aussi cette impression. Comme si cette nourriture avait deux fonctions : restaurer nos forces vitales et nos forces mentales. Mes rêves sont effectivement de plus en plus présents !

- Vos rêves ou vos souvenirs ? l’interrogea Obéron avec intérêt.

- Je ne sais pas, répondit Mu-Sharon. A priori, je dirais " mes rêves " mais peut-être sont-ils entachés de souvenirs puisque notre cerveau crée nos rêves à partir d’images et d’idées mémorisées dans le passé.

- Par la grande Galaxie ! cette amnésie me trouble. J’ai peur qu’elle soit définitive !

- Rassurez-vous ! J’ai l’intuition que notre amnésie devrait être provisoire. Je pense que nos rêves vont nous aider à nous souvenir de ce que nous étions avant puisqu’ils sont l’expression de notre inconscient.

- Je crois qu’il est temps qu’on se les raconte, ils peuvent nous apprendre quelque chose. Le mien n’est pas encore clair mais je l’entrevois de mieux en mieux.

- D’accord, je commencerais car je me souviens parfaitement du mien à présent. Normal, j’ai mangé le premier ! termina-t-il en clignant de l’oeil vers Obéron.

- Exact ! approuva celui-ci. Au fait, je pense, étant donnée la situation, qu’on pourrait se tutoyer maintenant.

- J’allais te le proposer !

- Mais si cela ne t’ennuie pas je t’écouterai le raconter tout en mangeant de cette nourriture hypermnésiante car j’ai de nouveau faim !

- Extraordinaire ! s’esclaffa Mu-Sharon en allant se rasseoir à la table qu’ils avaient occupée.

Et sans attendre que son compère ait obtenu du distributeur un autre plateau repas, il entama son récit :

- Bon je commence, tout d’abord sache que j’ai fait deux rêves, un long, un court ! C’est très subjectif, je sais mais bon…

Dans le premier je me trouvais dans un pays appelé Jaazlénia ou peut-être était-ce une ville, je ne sais plus.

- J’en ai rêvé aussi, ce pays existe j’en suis sûr.

Imperturbable, Mu-Sharon poursuivit :

" - Une guerre s’y déchaînait et dans mon rêve je n’y participais pas. J’étais en retrait pour une raison que je n’ai pas apprise. Cela se passait peut-être durant une permission après tout, de toute façon ça n’a aucune importance : mon rêve n’a rien à voir avec la guerre puisqu’il se passait en majorité dans une salle de projection cinéma Sisens. "

Six sens ? Un Cinéma six sens ? Tiens ça ressemble assez au cinéma 3D+g de mon premier rêve !

" J’allais voir un vieux film et lorsque la projection commençait (j’étais donc dans l’impossibilité de me lever), le film changeait et était remplacé par un autre du même genre. Personne à part moi dans la salle ne semblait avoir remarqué ce changement de programme. Bref ça parlait d’un terrien vivant un millénaire avant notre ère. "

- Un terrien ? fit Raphaël étonné en repensant à son premier rêve.

- Un habitant de Terre-mère, la planète mère de l’humanité. Un homme respecté qui selon ce film avait fait grand bien à notre civilisation.

Cet homme était professeur, un métier qui avait disparu au moment où la guerre avait éclaté à Jaazlénia.

Tout le film ne parlait que de lui. Ce n’était pas marrant, il était toujours au centre de l’image. Je ne pouvais regarder autre chose que lui.

- Et comment s’appelait cet homme ? demanda Obéron qui trouvait bien des points communs entre ce film rêvé et son premier rêve.

- Attends, je crois qu’il s’appelait Albert Raffaëlli ou Raffaello Albéron, je ne sais plus, enfin ça sonnait comme ça.

- C’est incroyable, je m’appelle Raphaël Obéron !

- Ah ? J’avais compris Michaël Obeuran. Tu vois, j’avais vraiment besoin d’un déjeuner ! Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire alors ?

- Je ne sais pas, peut-être la suite de ton rêve nous éclairera ?

- Maintenant que j’y pense ce type te ressemblait franchement !

Obéron très intrigué n’osa l’interrompre.

" Son histoire n’était pas extraordinaire et le film ou mon rêve a déraillé bien avant que je comprenne l’intérêt de sa biographie. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’il enseignait la neurologie, et qu’il avait rencontré une nana vachement bien drappée avant que tout parte de travers dans mon rêve.

Sa nana s’appelait Sophia ou Sarah et je peux te dire, je ne l’aurai pas laissé dormir seule dans un de ces box à la zyeurk, crois-moi ! "

Mu-Sharon hocha de la tête en direction des box.

Le regard d’Obéron s’aligna sur celui de son compagnon puis revint vers son visage.

- Que s’est-il passé ensuite ?

- Les images 3D projetées devenaient floues. Enfin non, c’est pas les images c’est le type qui devenait flou, juste lui, pas le décor !

- Bizarre ton rêve, je ne vois pas ce qu’il peut signifier.

- Le personnage lisait un bouquin sur son lit et puis il est devenu flou et finalement a complètement disparu de l’image. Le plus drôle c’est que le décor et tout le reste continuait de bouger comme si le film essayait de poursuivre le fil du scénario malgré le départ du comédien ! Une histoire de fou, hein ?

Tu ne dis rien ! ?

- Tu viens de me raconter un bout de mon premier rêve !

Mu-Sharon écarquilla les sourcils mais reprit malgré son grand étonnement :

- Attends, tu vas voir la suite : je me détachais du siège sisens et je flottais en apesanteur vers la sortie pour aller me plaindre et en poussant la seconde porte du sas, je me retrouvais dans le second rêve.

- Pardon ?

- Comme la suite n’a pas de rapport avec le début je pense que c’est un deuxième rêve. Mais ces deux rêves étaient si enchevêtrés qu’ils pourraient n’en faire qu’un. Juste après avoir poussé la porte du sas, je tombais dans le néant, enfin tomber n’est pas le mot juste, disons que le néant venait absorber le cinéma sisens.

- Le néant était blanc et avec plein de gens qui faisaient du mime dedans je parie !

- Oui ! fit Mu-Sharon interloqué, comment le sais-tu, t’es télépathe ou tu as fait ce même rêve aussi ?

- C’est en substance comme ça que se passait mon troisième rêve, je tombais sur du néant et y rencontrais un tas de personnes. Que faisaient les tiennent ?

- Certaines bougeaient comme si le néant n’était pas là et on ne pouvait les toucher. En fait elles étaient un peu transparentes. D’autres étaient plus larges que nous, comme anamorphosées dans la largeur par un facteur deux ! D’autres enfin se gonflaient puis se dégonflaient régulièrement, un peu comme si quelqu’un jouait avec un zoom. - J’ai bien déliré, hein ? - Pour analyser ça et en tirer quelque indice, accroche toi Raphaël !

- Au contraire, je crois avoir compris ce rêve là, c’est juste la période de transition entre le vrai dernier rêve et notre réveil, on a fait un petit mélange des personnages dont on a rêvé tandis que s’allumait la petite lampe blanche au-dessus de notre tête. C’est elle le monde blanc. Le néant.

J’ai même une explication pour les personnages qui bougeaient comme des mimes. J’appelle ça la théorie du locus coeruleus.

- Du quoi ?

- Un organe sans lequel tu ferais dans ton sommeil les mouvements que tu rêves.

- Ça n’explique rien ton locus machin.

- Bon, viens voir, dit Obéron en allant vers la plus proche couchette. Cette couchette entretient ce type en sommeil paradoxal et canalise sûrement ses rêves. Toutes les couchettes de cette rangée sont peut-être reliées entre elle à une machine spéciale et quand tu te réveilles, tu entrevois ce que rêvent les autres à travers cette machine.

- Mais je n’ai pas vu autre chose que les gens.

- La machine te masque probablement le reste, je ne sais pas, tout cela n’est qu’hypothèse…

- Admettons que ce truc en bout de rangée soit ta fameuse machine, pourquoi m’a-t-elle réveillé alors ?

- Aucune idée. Faudrait aller voir la nôtre ! De toute façon il faut retourner là-bas pour voir si nous n’avons pas laissé passer un indice.

- D’accord mais pas avant de m’avoir raconté tes rêves, je suis curieux de t’entendre puisque tu dis qu’ils ressemblent aux miens.

Comme pour lui signifier de prendre son temps, Malcom Mu-Sharon alla se rasseoir sur une des chaises poussiéreuses du libre-service. Obéron l’imita et narra son odyssée onirique.

- Je me souviens de trois rêves ou plutôt trois histoires, inclues les unes dans les autres.

Aussi loin que je me souvienne, il n’y avait que trois histoires, la première était un rêve pour la seconde : je rêvais que j’étais Raphaël Obéron, professeur en Neurologie ensuite je suis passé à la seconde partie du rêve, je devenais Paul-Raphaël Obéron, résistant jaazlénien, sortant d’une machine à rêver. La vie que je venais de rêver en première partie n’était qu’une simulation de vie au coeur de la machine dont l’on m’avait libéré. - Tu suis ?

- Pas vraiment pour être franc.

- J’ai rêvé que j’étais un résistant jaazlénien qu’on plongeait dans un rêve assisté par ordinateur pour se servir de son cerveau contre sa patrie et le rêve qu’on lui imposait lui faisait croire qu’il vivait vraiment en tant que professeur de neurologie. Mais je n’apprenais ceci qu’après avoir été libéré par une compatriote. C’est mieux comme ça ?

- Jolie la compatriote ?

- Bon je vois que tu suis cette fois, poursuivit Obéron, ainsi j’ai rêvé qu’on me forçait avec une machine à rêver une vie virtuelle !

- Ahurissant ce que ton inconscient a comme imagination !

- Le résistant que j’étais, en rêve j’espère, avait perdu tout souvenir de sa vie antérieure et était persuadé d’être vraiment le Raphaël Obéron dont ton rêve parle également.

- Alors pourquoi dis-tu que tu t’appelles ainsi.

- Mais je m’appelle ainsi. C’est le rêve qui est comme ça.

Malcom dubitatif le laissa continuer :

- Le troisième rêve ou la troisième partie du rêve, comme on veut, ressemble fort à ton second rêve. Mon décor s’effaçait et je pénétrais dans un monde blanc, dans la non-réalité ou le néant si tu préfères.

Et comme cette partie était très courte, c’est j’en suis sûr ma théorie qui l’explique.

- Celle de la lampe qui s’est allumée et de la regroupeuse de rêve ?

Obéron acquiesça d’un signe de tête et se leva. L’idée de rejoindre sa couchette le titillait.

- Il y a quelque chose qui me tourmente malgré tout, je me suis tellement identifié au personnage de mon premier rêve que j’en viens à croire que je suis bien lui.

Perplexe, Mu-Sharon se gratta la tête au-dessus de l’oreille gauche puis sous le menton.

- Je suis persuadé à présent que nous sommes bien dans un abri antiatomique et que ces appareils doivent jouer avec nos souvenirs et les mettre en forme pour nous les faire passer dans notre rêve séculaire afin que nous n’oublions rien et qu’à notre réveil nous ne soyons pas dépersonnalisés.

- Leur défaut c’est que nous ne sommes pas certains qu’il s’agisse bien de nos vrais souvenirs et pas de rêves.

- Notre " hibernation " a duré tellement longtemps que nous ne pouvons plus faire la part des choses. Seule l’exploration de ces lieux pourra nous en apprendre davantage.

Raphaël approuva ces dires et passa devant son ami en direction de son ancienne couchette.

*