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Premiers Doutes - Chapitre 24

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Chapitre 24 - C.L.S., Oh ! Belle-au-bois-virtuel-dormant, ton baiser arrive !

24

C.L.S., Oh ! Belle-au-bois-virtuel-dormant, ton baiser arrive !

Étrange… J’ai du mal me figurer que Jérémy, malgré son jeune âge, a eu l’honneur d’être le Grand Réveilleur de la pyramide N°1 ! C’est vrai qu’eu égard à sa brillante invention, la subernation, ce si jeune membre du conseil des sages ne pouvait dormir ailleurs ! Souvenir ou déduction, Paul-Raphaël ne sut décider ce qui l’avait amené à penser cela tandis qu’il glissait sans force derrière Malcom et Jérémy. Oh ! Gaïa ! ces glissades n’en finissent pas !

Ma femme, se ressassa-t-il encore, à quelques foulées de la couchette de Léa, comme pour bien saisir ce qu’il était en train de vivre : il allait retrouver sa femme !

*

- Elles vont bien, rassurez-vous, leur interconnecteur est O.K. et le reste aussi, les rassura le jeune Jahler.

- Qu’attends-tu pour la réveiller ? le tança Raphaël.

- Leur compteur indique 30 % et 25%, actuellement ce ne sont que des jeunes filles d’environ dix-huit cycles qui n’ont pas encore eu la chance de vous rencontrer !

- Mmunh, maugréa Paul-Raphaël. Combien de temps est-ce que ça va prendre pour atteindre les 100 % ?

- Patience ! Il faut procéder par étape. Pour te la rendre, il me faudrait sortir de leur léthargie tous les dormeurs de cette rangée en même temps. Nous ne sommes que trois et ils sont quarante !

Paul-Raphaël semblait résolu à attendre là.

- Nous avions décidé d’un plan de réveil et de remise en route de la pyramide, et il nous faut le suivre méthodiquement. Viens, tu seras plus utile qu’ici !

*

De retour au centre de la pyramide, leur jeune ami leur révéla l’organisation de la pyramide et son plan de réveil général :

- Devant le nombre gigantesque de lits à construire et le peu de temps dont nous disposions, nous avions choisi de fabriquer des lits branchés en réseaux arborescents afin de minimiser la technicité des lits, le nombre d’appareils de surveillance et d’appareils de ressassement mnémotechnique. En fabriquant des lits d’endormissement actionnés par un tiers, on réduisait considérablement le délai de fabrication des pyramides. En comptant un jaazlénien pour endormir trois à dix de ses compatriotes, il suffisait de fabriquer un seul lit à endormissement manuel et réveil automatique par pyramide.

Comme vous l’avez constaté, ce genre de lit est particulièrement sophistiqué ; d’autant plus que tout repose sur lui ! Pas question qu’il tombe en panne pendant les trois siècles programmés.

- Mais alors, qui a pu faire cela ? demanda Malcom en désignant la brûlure qui marquait la face de contrôle du sarcophage de cristal dont le couvercle était à présent suspendu à un mètre du plafond.

- Will Ironberg ! J’en mettrais mon Gdjel à brûler ! Cet homme n’était pas d’accord sur la durée du tunnel à traverser. Comme moi, il a participé à la conception des pyramides mais nous nous sommes plusieurs fois querellés à propos de cette durée.

Il devait occuper le centre de la pyramide numéro deux. Agnus Cynara occupant la troisième. Je parierais également que ce dernier possède la même marque sur son lit.

Comme Agnus, Will possédait le don de télékinésie, il lui aura été très facile de faire cela juste avant de mettre son propre réveil sur 500 au lieu de 300 !

- Pourquoi cette durée a-t-elle tant d’importance pour lui ?

- Il travaillait sur un modèle différent. Ses estimateurs donnaient une durée de tunnel de cinq cents cycles d’Éluars environ. Les miens et ceux des autres, trois cents. Will jurait qu’il était le seul à avoir raison. Mais Agnus ne pouvait garantir le bon fonctionnement des pyramides qu’au-delà de trois cents cycles. Ironberg soutint qu’elles tiendraient aussi bien cinq siècles. Le conseil devait trancher et il opta pour trois siècles en laissant à chaque Grand Réveilleur les moyens de prolonger le tunnel si à son réveil, il en constatait la nécessité sur ses appareils de contrôles.

- Apparemment c’est un homme obstiné qui n’a eu que faire de la décision des sages.

- Homme obstiné mais homme d’une grande intelligence. J’ai vérifié les appareils de contrôle et je constate qu’Ironberg avait presque raison pour la durée du tunnel. Les effets de la bombe n’ont complètement disparu que depuis trente cycles, soit un tunnel de quatre cent sept cycles. Son obstination a eu du bon. Le problème, c’est la longévité des pyramides. J’espère que les deux autres pyramides ont aussi bien résisté que la nôtre.

- Comment savoir si les autres vont aussi bien ?

- Nous n’avons aucun moyen de le savoir sans sortir d’ici. Et ça, c’est pour plus tard ! Mes appareils indiquent seulement une absence totale de vie animale sur Thagama et un fonctionnement parfait de la grande barrière. Nous pouvons donc enclencher le réveil général de notre pyramide.

Jérémy leur révéla alors le principe de fonctionnement des interconnecteurs de subernation paradoxale et leur montra les plans du reste de la pyramide. À sa base, les dormeurs ; aux autres étages des machines ; des engins ; des véhicules ; outils ; des vêtements ; des vivres et des matières premières. Seul l’étage supérieur présentait de nombreuses pièces vides.

La pyramide pouvait assurer la survie de ses habitants en huis clos pendant deux cycles.

Tout était pensé pour permettre aux habitants de la pyramide de fonder une mini-ville souterraine au sein de la pyramide afin que, le moment venu, ils puissent sortir en surface et recréer progressivement une vie terrestre normale.

Malcom et Raphaël apprirent également que les dormeurs du carré central étaient déphasés volontairement afin qu’un seul homme puisse réveiller un dormeur puis deux puis trois, etc., en vérifiant bien progressivement leur état physique et psychique, s’assurant ainsi d’avoir de l’aide efficace pour réveiller les suivants. Par un procédé que Raphaël compara au jeu de l’épervier, les réveilleurs seraient de plus en plus nombreux. L’épervier, encore un souvenir de son enfance sur Terre au vingtième siècle, était une sorte de jeu du chat et de la souris où chaque fois qu’une souris était touchée par un chat, elle devenait chat.

Le nombre " d’éperviers " dans le temps suivrait donc une courbe sigmoïde : au début la croissance serait lente, s’accélérerait puis finalement atteindrait un maximum de valeur égale au nombre total de dormeurs initial.

- D’après mes calculs, on peut compter cinquante mille jaazléniens par pyramide mais par la faute d’Ironberg, comme la subernation a duré trop longtemps, au-delà de la durée de vie d’un interconnecteur, il faut s’attendre à des pertes.

Cette phrase si dure dans la voix d’un jeune homme frappa Obéron. Son sang-froid étonnant lui rappela alors celui qu’avait eu Crystaléa dans l’ascenseur de la prison guendjaalienne tandis qu’ils s’élevaient au-dessus de milliers de caissons cybernétiques finalement peu différents des couchettes qu’il voyait à présent.

- L’obstination de Will, reprit Jahler, a beau nous avoir mieux protégé des effets de la bombe, elle n’en a pas moins augmenté les risques de pannes et de " pertes ". Néanmoins, louée soit votre panne ! Car elle a, finalement on peut le dire, " heureusement " coupé votre rêve et mis fin au tunnel.

- À propos de couper nos rêves, j’ai un bout de ma vie qui a zappé ! J’aimerai foutrement savoir ce qu’il s’est passé entre mon " excursion en forêt " et ma présence ici !

- Zappé ?

- Ce n’est rien, un tic de langage que j’ai appris à mes dépens sur Terre !

- Hum ! C’est vrai, reconnu le jeune Jahler, avant de lancer le réveil général, il me faut, Paul-Raphaël, vous expliquer ces événements passés dont vous n’avez pas encore souvenir.

À ces mots, les yeux d’Obéron s’écarquillèrent tant ils étaient étranges.

- Si j’ai bien interprété vos rêves, poursuivait Jahler, votre vie-rêve a été interrompue quelques décades seulement avant la fin de l’ultimatum. Sachez donc que cette tache dont vous parlez était bien une zone d’aveuglement cérébral et qu’il vous fut facile de rejoindre son centre. On vous y attendait avec impatience. La suite est simple, vous avez rejoint Jaazlénia, où vous vous êtes marié avec Crystaléa pour la seconde fois en attendant la fin de l’ultimatum !

- Vous ne faites pas dans le détail, dites donc ! Pardon ? Marié pour la deuxième fois ? Mince ! fit Obéron en dodelinant de la tête, arborant un sourire latéral qu’il se devait à lui-même !

- M’étonne pas de toi, gloussa Malcom ne sachant pourtant quelle péripétie il allait apprendre de lui par Jahler.

*

- Alors, Paul, tout se passe bien ? demanda Jérémy qui faisait le tour du carré primaire.

- Je viens de terminer le bilan de mademoiselle. Tout est O.K.

La jeune fille lui sourit bêtement. Elle avait la mine d’un premier janvier après-midi.

En discutant à bâton rompu avec elle au cours de son examen clinique, Obéron avait compris qu’elle était Étrange comme Crystaléa.

Son physique typé d’Étrange lui rappelait à présent à chaque seconde combien sa femme lui manquait. Répondre à Jahler que tout allait bien était un mensonge. La peur qu’une panne d’interconnecteur se reproduise dans le carré de sa femme le hantait. Un tourbillon d’émotions forte aspira son coeur.

Jahler prit à part Obéron. La main posée sur son omoplate, il l’invita à s’éloigner de la jeune fille.

- Par chance aucun cadavre ni aucun " légume " n’a été retrouvé. Nous n’aurons donc pas de problèmes de conscience à euthanasier des légumes de peur qu’à l’intérieur de leur cerveau ce soit un cauchemar permanent !

- Louons Thagaïa, aucun des examens médicaux n’a révélé de souffrance psychique ! compléta Éléor Javel (dit le quatrième) qui assistait Jérémy dans son inspection générale de la pyramide.

*

Enfin vint le tour du carré de Crystaléa Obéron !

Leur joie de se retrouver au bout du tunnel réchauffa le coeur de tous ceux qui assistèrent à leurs baisers fougueux.

Les " jeunes mariés " privés de nuits de noces s’éclipsèrent aussitôt que cela leur fut possible. Le nombre d’assistant de réveil étant suffisant, Paul Obéron n’eut aucun remords à s’évanouir au deuxième étage avec " sa jeune mariée " pour profiter d’un peu d’intimité pendant que cela leur était encore possible. Le deuxième étage, comme l’indiquait le plan de la pyramide dont ils s’étaient munis, comportait un salon agréable où de généreux sofas les y attendaient.

Après avoir dégagé les sofas de leur protection de bioplastique couverte de quatre siècles de poussière, ils s’installèrent l’un contre l’autre avec émotion.

- Puisque les drogues t’ont permis de retrouver tes souvenirs jusqu’à la traversée de la barrière aveuglante, lui dit-elle tendrement, le mieux serait que je te raconte ce qu’il nous est arrivé depuis. De cette façon, tu accepteras les événements plus facilement. Qu’en penses-tu ?

- Entendu, vas-y ! Jérémy Jahler m’avait justement laissé sur ma faim à ce propos !

- Ainsi, comme tu sembles t’en souvenir, après ta libération du palais des songes et notre atterrissage dans la forêt de Régelen, nous nous sommes retrouvés face à la barrière aveuglante.

Léa venait d’omettre volontairement un détail qui la fit rougir à la seule pensée évocatrice de celui-ci.

Obéron savait ce qu’il manquait à son récit mais bien sûr ne le signala pas et se contenta de lui rendre son sourire.

- Pardonne-moi mon chéri, la tache trouble que tu avais aperçue du ciel était bien le lieu de rendez-vous. J’aurais dû avoir confiance dans ton intuition, elle nous a sauvé tant de fois… En disant ces mots, Crystaléa passa sa main dans la mèche de cheveux qui ornait le front de son mari et déposa sur ses lèvres le plus doux des baisers qu’il avait jamais reçus.

- Tu as alors décidé de la traverser les yeux fermés, reprit-elle souriante, et je t’ai suivi.

Ils se regardèrent les yeux dans les yeux longuement et se serrèrent davantage l’un contre l’autre. Elle posa sa tête contre le creux de son épaule et continua son récit.

- Le champ de la zone d’aveuglement cérébral ne fut pas facile à traverser mais nous y sommes arrivés. Il n’y a pas si longtemps que cela s’est passé pour moi et je me souviens de nos chocs contre les arbres comme si c’était hier ; je crois encore voir la trace des bleus que je me suis faite en me cognant. Pourtant je sais qu’il y a quatre siècles qu’ils se sont effacés. C’est dur à imaginer, n’est-ce pas ? dit-elle en redressant la tête pour le regarder dans les yeux. Un autre baiser, un autre gros câlin et le récit reprit.

- Au coeur du champ A, nous avons perdu l’ouïe et le toucher si bien que je ne savais plus si ta main tenait toujours la mienne. Pourtant, nos mains ne se sont jamais quittées !

Ces cinquante mètres m’ont paru faire le triple et j’ai eu très peur de ne jamais réussir. Cependant, tu avais eu raison de m’entraîner vers l’intérieur de la barrière blanche car nous y sommes finalement arrivés ! J’ai ouvert les yeux dès que j’ai senti de nouveau que mes pieds reposaient sur le sol et que ta main enserrait la mienne. Notre vision était encore trouble mais ce retour de nos sens était porteur d’espoir. Au bout d’un certain temps, nous sommes enfin parvenus à passer le seuil critique du champ d’aveuglement et nous sommes tombés sur nos compatriotes. Oui, c’était effectivement notre base avancée et notre arrivée en a surpris plus d’un ! Non pas parce qu’ils ne nous attendaient pas mais parce que nous sommes arrivés la main dans la main comme des amoureux. Cela les a fait jaser longtemps d’ailleurs, jusqu’au moment où ta mémoire récupérée, tu les as remis au pas !

- Comment ma mémoire m’est-elle revenue ? l’interrompit Obéron surpris. Je croyais que les digitubes contenant ma mémoire avaient été détruits ?

- Après mon rapport au chef du commando, Séléna Mey-Quaranth, qui nous attendait au centre de la zone aveugle, ta mémoire te fut réactivée à l’aide de modules-mémoires que tu lui avais laissé par une chance incroyable. Chance ou destin, en fait on ne saura jamais… Nous nous sommes donc servis de cette " vieille version " juste avant de lever le camp vers Athala.

- Une vieille version ? Comment ça ?

- Ce sont les prototypes que tu avais mis au point avec Jahler.

- Jérémy Jahler ?

- Non, son père, Gaïa protège son âme !

- J’avais emporté et perdu la dernière version de ta mémoire mais par chance, tu avais conservé dans tes affaires ces prototypes. Bien sûr, il leur manquait l’enregistrement de tous les événements qui s’étaient passés depuis leur fabrication jusqu’à ton réveil mais l’essentiel était là ! Tu as donc récupéré tes souvenirs de jeunesse et ce qui a fait de toi l’un des héros de notre peuple.

- Des vieux backups en sorte, murmura Obéron. Sa femme ne semblait saisir l’allusion, alors il la relança :

- Et que s’est-il passé ensuite ? Ai-je oublié ma vie sur Terre ?

- Non, elle restait en arrière plan à la façon des souvenirs d’un film pour lequel on s’est beaucoup identifié au héros principal. Nous sommes parti vers Athala et avons attendu là-bas la fin de l’ultimatum.

Crystaléa lui raconta alors, (mais cette fois à grand renfort de détails), ce qu’il leur était arrivé entre leur entrée dans la base d’Athala et celle dans la pyramide. Ce récit combla davantage Paul car elle ne pouvait résister à l’idée de le serrer dans ses bras ou de l’embrasser avec passion toutes les trente secondes.

- Notre remariage d’Athala fut célébré la veille de la fin de l’ultimatum fatal.

Léa s’arrêta un instant sur sa lancée, heureuse de pouvoir sentir à nouveau la caresse de Paul-Raphaël dans ses cheveux. Ce geste que son mari faisait là comme pour lui dire sans mot qu’il l’aimait à la folie, l’émut si fort qu’elle ne sut comment terminer son récit, sachant que le reste de l’histoire n’était pas aussi rose que ce qu’ils vivaient maintenant.

- Il était prévu que je me réveille avant toi mon chéri mais la panne en a voulu autrement, conclut-elle en l’embrassant derechef.

- Malheureusement, je constate qu’il manque à nouveau un morceau dans ta vie, Oh ! mon cher Ami !

- Qu’importe, fit celui-ci qui ne semblait pas vraiment embarrassé par ce détail. Car comprenant que l’acte d’amour qu’il avait eu avec la Phoebée virtuelle de sa " Terre 1997 " avait été consommé avec sa Léa par Ordinateur-couplage interposé, il constatait que la partie mise en jeu dans cet ébat marchait encore à merveille et décidait de l’utiliser au mieux.

*