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Premiers Doutes - Chapitre 37

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Chapitre 37 - Cascade-moi !

37

Cascade-moi !

En descendant les dernières marches de pierre de l’escalier déjà envahie par les herbes d’olixan, Léa se sentait attirée de façon irrésistible par l’air de flûte, comme s’il s’était agit d’une flûte enchantée !

- Un sylve ? songea-t-elle en repensant à la mythologie thagaméenne que lui avait racontée sa grand-mère maternelle.

Selon maman Mounia, les sylves étaient de curieux êtres ailés peuplant les forêts bien avant la grande colonisation. Bien que hauts comme trois pommes, on les disaient forts charmeurs de filles. Maman Mounia racontait à sa petite Léa, bien calée sur ses genoux, qu’ils enlevaient toutes les fillettes dès qu’elles s’aventuraient seules dans la forêt. Leur seul ennemi était le chat de Lulut.

Elle hésita un moment à poursuivre son chemin sur le sentier fraîchement tracé dans les hautes plantes herbacées encore couvertes de rosées.

- Les sylves n’existent pas, se répéta Léa avant de s’avancer en direction de la forêt où allait se perdre le petit sentier.

La forte humidité ambiante lui confirma la présence proche de la cascade avant même d’en entendre le chant mélangé de celui de la flûte à présent très net.

À travers les branches de paltèquier de Xénar elle distingua enfin la chute d’eau.

- La voilà enfin cette fameuse chute,… ces chutes, se corrigea-t-elle en repoussant une dernière branche gênante.

Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant l’identité du mystérieux flûtiste !

- Raphaël !

Son époux était sur un rocher au bord de la première chute d’eau. Celle-ci donnait naissance à un petit bassin qui se vidait par une seconde chute d’eau donnant vers les gorges.

L’endroit était magnifique et lorsqu’elle parvint à faire le tour du petit bassin, elle constata que le panorama visible depuis le rocher de Raphaël était véritablement impressionnant : par un trou dans le manteau forestier, apparut la pyramide entourée des nouvelles constructions.

Assis en tailleur au sommet de son rocher, Obéron continuait de jouer de l’ocarina. Il regarda sa femme s’approcher de lui, radieuse sous les rayons d’Éluars.

- Ah, c’est donc toi !/Je t’attendais, dirent-ils en même temps.

- Comment savais-tu que je viendrai ?

- Cet air ne te rappelle rien ?

- Non, il devrait ?

- Eh comment ! C’est l’air qui passait dans les haut-parleurs de la base de Taldrenn lorsque je t’ai rencontré !

Léa parut vraiment étonnée de ces propos et soudain détourna la conversation.

Pointant le doigt vers les nouvelles constructions, elle dit :

- Qu’en dis-tu ? Ça avance vite n’est ce pas ?

- Comment ?

- Je dis que je trouve que les travaux avancent vite.

- L’humanité reprend du poil de la bête !

- Mumh ! maugréa-t-elle comme à son habitude lorsqu’il s’exprimait de la sorte, comme un terrien anachronique. Je ne savais pas que tu jouais de l’ocarina, fit-elle revenant à leur premier sujet de conversation comme s’il y avait déjà eu prescription.

- Moi non plus ! En fait, je ne sais toujours pas. Ce sont mes doigts qui savent !

- Tu es bien étrange aujourd’hui. Viens donc te baigner au lieu de parler comme un ballorque.

- Un quoi ?

- Un ballorque ! Parler comme un ballorque. Aurais-tu oublié cette expression ? Allez, oublie ça et viens te baigner !

- Je te rejoins. Vas-y !

Son sourire fatigué engagea Léa à ne pas insister. Il allait la suivre. Ce nouveau monde exigeait de lui de n’être qu’une seule personne et cela prendrait du temps.

*

- Tu sais que je t’ai cherché partout ? Tu aurais pu dire à quelqu’un que tu étais là !

- Pardonne-moi, je ne pensais pas à mal en me retirant ici pour méditer un peu.

Elle lui sourit et se serra contre lui sur le rocher.

- C’est vraiment étonnant cette source d’eau chaude. Tu crois qu’on a bien fait de s’y baigner ?

Elle n’a pas été analysée après tout ! Enfin pas à ma connaissance…

- Je l’ai fait moi, l’eau est à 32 degrés, riche en oligo-éléments et en minéraux. Les techniciens de " la piscine de jouvence " n’ont pas eu beaucoup à faire pour l’utiliser ! Une simple filtration et hop, je suppose.

- Arrête de dire " hop ", tu sais que c’est déplacé ! Si tu tiens à parler par onomatopée, dit plutôt " kontch " ou " klank ". Je te l’avais déjà signalé dans ton livret d’antécorrespondance, tu te souviens ?

Voyant la moue de son époux, elle reprit :

- Sais-tu pourquoi elle est si chaude ?

- J’ai ma théorie…

- Et ?

- Auparavant il faut que je te parle d’une autre découverte que j’ai faite juste avant que tu n’arrives.

C’est grave. Écoute-moi jusqu’au bout sans me couper s’il te plaît !

Léa fronça les sourcils.

- J’ai beaucoup réfléchi depuis que nous sommes réveillés ici, tu sais… J’ai fait malgré moi des hypothèses qui m’ont semblées aberrantes au départ mais voilà, ce matin j’en ai eu la preuve formelle,…

Obéron respira profondément.

- J’ai la preuve que toi et moi, et tous les autres Arcadiens bien sûr, sommes victimes de machines de R.A.O. !

- Oh ! non ! Ce n’est pas vrai, tu ne vas pas remettre ça !

- Écoute moi, tu avais promis de me laisser terminer jusqu’au bout…

Léa hocha de la tête.

- Cette preuve, je vais te la faire voir s’il n’est pas trop tard…

Il se laissa glisser du rocher et plongea sa main dans un petit sac de toile qui reposait aux pieds du rocher avec ses vêtements, en sortit une paire de jumelles roses et vertes pour enfants et la tendit vers la belle naïade.

- C’est ça ta preuve ?

- Mets-toi debout sur le rocher et prends-les mais ne regarde pas encore dedans !

Sa femme s’exécuta.

- Bon et maintenant ? fit-elle tendue, alors qu’il remontait sur le rocher derrière elle.

- Concentre-toi ! Fais le vide et choisi une direction au hasard vers l’horizon et aussitôt regarde vers elle dans les jumelles.

- Qu’est-ce que je dois voir ?

- Fais bien le vide en toi et vas-y !

Crys fronça à nouveau les sourcils et s’exclama aussitôt :

- Mais qu’est ce que c’est que ce peck ? fit-elle soudain effarée. Ses yeux restèrent rivés aux oculaires. Elle se dressa complètement et tendit le cou.

- N’enlève surtout pas les jumelles et décris-moi ce que tu vois !

- L’horizon,… il est complètement… pixelisé… Y a comme des… Oh ! mon dieu, Gaïa ! Tu avais raison, c’est un décor fractal de R.A.O. : IL est encore en train de le dessiner !

Les jumelles restèrent un moment collées contre les yeux de Léa.

- Là même où un instant avant on voyait nettement la différence entre une zone " non dessinée " et une zone " dessinée ", et maintenant, on voit progresser la zone " dessinée " vers " l’infini " !

- Le blanc que tu vois au-delà, c’est le fond du décor, les coulisses en quelque sorte…

L’ordinateur qui a été utilisé pour fabriquer ce monde de R.A.O. a dû être pressé par le temps, on dirait qu’il termine à peine…

- Alors tu disais vrai… lâcha Crystaléa en même temps qu’elle pointait au hasard vers un autre lieu. Là aussi, les détails ne font qu’arriver maintenant. Le " gros " a été fait et à présent IL peaufine ! Dans un certain temps ces jumelles seront insuffisantes pour voir le bord de ce cyber-monde, il faudra un télescope pour voir ce que j’ai vu, l’envers du décor !

Léa, encore sous le choc, chercha à redescendre du rocher. Obéron, déjà au sol, la rattrapa entre ses bras musclés et la serra un long moment avant de reprendre :

- Depuis tout à l’heure j’ai pas mal cogité… Je pense maintenant que nous sommes dans un monde cybernétique tout récent où seules les zones de fréquentations hautement probables ont été achevées, le reste est superficiellement " dessiné " et complété seulement en cas de déplacement de " personnes " dans leur direction.

- Mais comment se fait-il que les satellites n’aient rien… Pardon, ma question est ridicule. Toutes les preuves qu’on demande par ce genre d’appareil fait appel aussitôt à un retraçage rapide par l’ordinateur des zones concernées.

Seules des jumelles reposant sur un principe physique pouvaient court-circuiter ce genre de parade informatique ; en déplaçant physiquement et à une vitesse exponentielle le point de convergence de nos yeux, on dépasse les capacités d’adaptation de l’ordinateur, il ne " suit " pas…

Obéron reconnaissait bien là celle qui l’avait délivré du premier monde virtuel…

- Me voilà donc dans ta situation, ou presque… Nous ne savons pas à quoi ressemble le monde réel et la raison de notre enfermement dans ce cyber-monde.

- Moi qui commençait à aimer ce monde… soupira Obéron en se laissant choir sur un petit rocher près du bassin.

Le visage effondré, il rangea les jumelles dans son sac.

- Il ne faut pas désespérer, reprit Léa, il y a sûrement un moyen de sortir d’ici et de ne pas se retrouver dans un autre monde factice. Tous ces mondes doivent demander des mémoires extraordinaires. S’il s’agit bien d’une prison cybernétique à plusieurs sous-mondes imbriqués les uns dans les autres, j’imagine qu’il y a derrière tout ça un ordinateur extraordinairement puissant mais la puissance a des limites…

- D’abord TERRE 1997, ensuite THAGAMA 2072 puis THAGAMA 2492 et puis quoi après ? Le taré qui a construit cette série de cyber-mondes dans le seul but d’empêcher ses prisonniers de s’échapper, avait un sacré sens de la précaution. Regarde Léa ! ajouta Obéron en traçant au sol avec une brindille quatre cercles concentriques. Si ce cercle représente ma Terre, supposons que ce soit le niveau de prison le plus bas, finalement une sorte de cachot spécial, et si ce cercle représente THAGAMA 2072, comment explique tu que nous nous retrouvions en 2492 ?

- Je ne te suis pas.

- Celui qui nous a enfermé ici doit continuer de nous surveiller régulièrement, à la manière des guendjaaliens dans ma première prison cybernétique. Cet homme, à supposer que ce soit un homme, n’avait aucune raison de nous faire subir le tunnel. Nous nous doutions pas un instant que THAGAMA était un monde factice. Alors pourquoi ce nouveau monde ?

- Je ne sais pas, comment veux-tu que je te réponde ! J’ai déjà du mal à réaliser ce que tu as toi-même réalisé sur le toit de la prison à Ogammu.

Je dirais, pour essayer de te répondre que c’est nous qui avons fait le tunnel vers ce monde, pas cet homme dont on suppose l’existence…

- Attend un peu, reprit-elle aussitôt, on n’y est pas du tout ! Ce sont les guendjaaliens,… Oh ! mon dieu, ils auraient donc réussi ?

- De quoi parles-tu ? Les guendjaaliens ? Que viennent-ils faire ici ?

- J’ai la conviction que nous sommes tous les deux dans un R.A.O. fabriqués par les guendjaaliens. J’ai dû être fait prisonnière et ils m’ont intégrée dans un R.A.O. avec toi !

- Et quand auraient-ils pu te faire prisonnière ? fit Obéron le visage inquiet.

- Il y a plein de possibilités. Soit très tôt, dès mon arrivée sur le toit de ta prison, soit plus tard, lorsque je cherchais à te réveiller, pendant notre survol de la forêt de Xourou, n’importe où en fait… Je me demande même si ce n’est pas plutôt au moment où nous croyions traverser un dôme de distorsion artificielle planté par notre commando.

Tu te souviens ? Un monde blanc, provisoirement peuplé d’hallucinations vivantes.

- J’en ai froid dans le dos ! J’espère que tu te trompes, pourtant j’ai peur que tu aies mis le doigt sur la vérité.

Il lui prit la main et l’approcha de lui. La douceur et la chaleur de sa peau virtuelle étaient insupportables. Léa se serra tout contre lui comme si la chaleur de son homme pouvait la rassurer et elle ferma les yeux ne tardant pas à ressentir avec une émotion violente, le baiser que son amour lui donnait sur le front. Les deux amants virtuels d’Arcadia s’embrassèrent longuement.

Lorsque leurs lèvres se séparèrent, une larme coula sur la joue gauche de Crystaléa Lowen-Soissanth, épouse virtuelle de Paul-Raphaël Obéron, né Raphaël Obéron, Berlin, Terre, 1961.

Après un long silence déchirant, Obéron se décida enfin à parler.

- Si ce monde est conçu comme les cyber-monde de la Terre 1997 alors il me vient une idée. Lors d’un séjour chez ma mère, je suis allé visiter le futuroscope de Poitiers. J’y ai eu l’occasion de tester un monde virtuel et je me suis retrouvé par hasard au bord de celui-ci. Je me souviens qu’on pouvait voir le cyber-monde suivant…

Léa fronça les sourcils. Elle ne voyait pas où il voulait en venir.

- Qu’est-ce que c’est que ce futuroscope ?

- C’est un nom de lieu, chez moi… c’est un détail, oublie-le. Viens, fit-il en lui prenant la main, grimpons sur cet pic rocheux qui domine la cascade, de là nous arriverons peut-être à voir au-delà de ce monde ?

*

Crystaléa souffla bruyamment.

- Ouf ! On est loin du sommet ? Je n’ai plus de forces !

- Courage, plus que quelques mètres !

Obéron tendit sa main et hissa sa compagne.

Le panorama était extraordinaire et les deux arcadiens surpris furent un moment muets d’admiration devant la beauté du décor " sauvage " qui se livrait à eux. Une brise agréable s’enroula autour d’eux et poursuivit son vol.

Oh ! grand univers ! si Raphaël n’avait eu la curiosité de regarder dans les jumelles, comment auraient-ils pu s’imaginer que ce monde merveilleux n’était qu’une hallucination cybernétique ?

Léa passa son bras dans le dos de Raphaël et posa sa tête contre son épaule. Sa main glissa sous son pull et caressa son dos.

Ils s’embrassèrent à nouveau.

L’endroit était tellement romantique, comment résister à l’envie… L’amour n’a nul roi.

D’abord le pull, puis le reste et tels Adam et Eve, Raph et Léa firent l’amour au sommet d’Éden 2.

*

Adossé sur ses coudes, le corps allongé sur les habits éparpillés sur un doux tapis d’herbe d’Ilyenn, Obéron admirait la grâce de sa femme nue, debout devant le panorama, dominant la vallée, Arcadia la vieille et Utopia la jeune.

- Au fond, quand je te vois, au milieu de ce monde merveilleux, je me fous bien de savoir que tout ceci n’est pas vrai ! Et je n’ai qu’une envie, refaire ce que nous venons de faire aussi souvent que tu le désireras !

Crystal dodelina de la tête, secoua ses longs cheveux ébouriffés par la brise et marcha le long de la falaise. Son corps nu semblait si fragile… comme ces petites fleurs bleues qu’elle cueillait maintenant.

Obéron se gratta le dos, irrité par le contact direct avec la laine du pull. Ou bien étaient-ce les herbes d’Ilyenn ?

À son tour, Lowen se gratta le dos.

Et soudain ce fut le drame : voulant se redresser pour mieux se gratter, elle ne fit plus garde où ses pieds s’avançaient.

L’un d’eux glissa sur le rebords et la déséquilibra vers le vide.

Obéron qui s’était redressé en un éclair, la vit pourtant tomber, incapable de la retenir dans sa chute au-dessus de l’eau vrombissante de la seconde cascade.

Le cri qu’elle poussa dans sa chute le poussa à se jeter à son tour dans le vide.

Lorsqu’il sauta du rocher, une impression étrange le saisit à la nuque.

À peine le temps d’inspirer un grand bol d’air et il était dans la rivière.

Sous l’eau, il crut apercevoir un visage et brusquement l’eau vira du bleu au jaune et prit aussitôt un goût bizarre.

- Léa !

*