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Premiers Doutes - Chapitre 38

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Chapitre 38 - Est-ce que je me noie ?

38

Est-ce que je me noie ?

Quelques fractions de seconde avaient suffi ; et son monde de paix et d’amour avait été métamorphosé en pure peur. L’espace-temps et son coeur ne faisaient soudain plus qu’un, et un effroyable coup de poignard venait les fendre violemment, dans un bruit extraordinaire d’eau " déchirée " !

Une fraction de seconde de plus et " quelque chose " précipitait Obéron à travers la " déchirure ".

Aussi soudainement que tout cela était arrivé, le silence s’imposa finalement à lui et il reprit conscience.

Grand univers ! Mais où était-il ?

Que faisait-il donc immergé dans ce fluide jaune au goût acidulé ?

- Je suis Raphaël Obéron, je suis Raphaël Obéron, répétait une voix stressée dans son crâne.

Obéron ne comprenait pas qu’il puisse encore respirer avec les poumons remplis de ce liquide étrange et chaud mais pourtant il fallait bien l’admettre : il ne se noyait toujours pas ! Sa panique s’effaça alors comme elle était venue et son rythme cardiaque se normalisa. Il cessa de ce débattre dans " l’eau ". Et bien que cela puisse paraître étrange, il inspira volontairement une grande goulée de liquide.

Rien de l’effet ordinairement attendu après un tel comportement n’eut lieu. Bien au contraire, boire la tasse lui apporta un grand bol d’air !

Son instinct avait donc vu juste : il flottait dans du LR7 ou un liquide respirable du même genre !

Amusé par l’expérience, Obéron commençait à prendre plaisir à " respirer de l’eau ".

Il ouvrit grand les yeux dans le liquide jaunâtre.

Où pouvait-il bien être ?

Ses bras et ses jambes s’écartèrent instinctivement pour nager alors qu’il ne semblait pas couler. Ses mains heurtèrent aussitôt des parois de verre tout autour de lui et au-dessus de sa tête.

Je rêve ou suis-je réellement sous une cloche de verre ? Qu’est-ce que c’est que ce délire ? Je respire de l’eau ?

Raphaël Obéron pivota autour de lui de nouveau. Rien à faire, ces parois de verre semblaient bien réelles !

Non, je dois forcément rêver…

… mais si je rêve, pourquoi alors en suis-je conscient ? Et que peut bien signifier un délire pareil ?

Oh ! Grand univers mais que m’est-il arrivé ?

Les derniers souvenirs firent un effort de titan pour revenir à lui et la brume qui planait sur les méandres de sa mémoire se dissipa lentement.

Thagama… La pyramide de vie est un univertuel tout frais : l’horizon se dessine encore ! … voilà la preuve ! Oh ! non ! Léa ! Chute dans la cascade ; vision trouble ; un visage ! Crystaléa ? Non ! Plus d’air, je bois la tasse ! Liquide dans mes poumons. Liquide ! Air-liquide ? Je me noie ! Est-ce que je me noie ?

Il vit enfin la vérité.

Ses jambes firent un à deux mouvements et s’arrêtèrent dès qu’il sentit son corps MONTER vers ce qui ressemblait à un fond de tube à essai : il flottait donc à l’endroit et en apesanteur, dans une sorte de cloche de verre remplie de liquide respirable !

Gaïa, quel étrange endroit pour se réveiller ! " bloup-gloupa " Raphaël en essayant de parler sous l’eau.

Soudain, Raphaël s’aperçut qu’une sonde de plastique était scotchée sur sa joue et sa nuque et descendait dans son dos hors de son champ de vision. Ses doigts longèrent le tubule pour savoir où il allait et ce qu’il déversait dans sa bouche.

- Probablement alimentaire, se dit-il entrevoyant enfin un sens à cet endroit mystérieux, et maintenant lucide : il ne rêvait pas !

La sonde plongeait vers le fond et venait s’insérer dans une sorte de bouchon métallique et chaud qui fermait son " tube à essai retourné ". Il y avait là une grille à travers laquelle Raphaël sentit le flux de liquide renouvelé en oxygène. Rien à apprendre de ce côté là ! songea-t-il en se relevant dans la cloche.

À cet instant, il s’aperçut enfin de sa nudité. Des capteurs sans fils étaient disposés sous des ceintures de plastique fines et transparentes entourant son abdomen, de son thorax, de son cou, de ses poignets et de ses chevilles.

- Mais oui, bien sûr ! s’exclama-t-il dans un nouveau " bloup-gloup ". Obéron, pour avoir reçu cet enseignement sur TERRE 1997, savait désormais à quoi s’en tenir : il se trouvait plongé dans une cuve de liquide respirable, déjà à l’essai en 1997 et qui pouvait servir à contenir un grand brûlé pour lui permettre de cicatriser sans douleur.

Dans ce système révolutionnaire, dérivant de techniques de plongées en scaphandre abyssal, les tissus endommagés pouvaient cicatriser sans risque de surinfection et le brûlé ne souffrait plus au contact de ses draps.

Mais Raphaël ne remarqua aucune blessure, aucune brûlure sur son corps qui justifia ce traitement.

Si quelqu’un l’avait placé là, ce n’était certainement pas pour raison médicale car il se voyait en parfaite santé.

À vrai dire, il se trouvait même d’une forme éblouissante, comme remis à neuf ! Et cela l’inquiétait. Ce n’était pas normal de se trouver là s’il était en pleine forme.

Et s’il y avait eu un lien avec la plongée abyssale, pourquoi était-il donc nu ?

En regardant une nouvelle fois ses mains avec attention, Obéron comprit ce qui n’allait pas : aucune trace de cicatrice sur ses mains !

Pourtant il se rappelait parfaitement s’être blessé lors des travaux d’extension de la pyramide de vie. Dans ces conditions, ou il était toujours dans l’univertuel THAGAMA 2492 et ce traitement tenait du bain de jouvence, ou il était dans la réalité, débarrassé de sa cicatrice virtuelle mais où exactement ? Dans l’immédiat, cela resterait une question sans réponse.

Si réponse il y avait, elle se trouvait dehors. Collant ses mains entre son visage et la paroi pour éliminer les reflets, il scruta les alentours.

Aucun signe d’activité. Pas âme qui vive. Par contre il aperçut distinctement la forme de nombreux tubes de régénération dans lesquels il devinait des formes humaines.

Comment sortir de là ? Il y avait sûrement un moyen !

Obéron s’accroupit et tâtonna le fond du tube dans l’espoir d’y découvrir quelque mécanisme d’ouverture.

Rien ! Il fallait donc attendre de l’aide de l’extérieur. Une infirmière ou quelqu’un du même genre. À moins que…

Raphaël espérait que son idée n’était pas trop risquée mais il fallait tout de même qu’il tente sa chance.

Il commença à se balancer dans l’eau pour donner de l’inertie à la masse de liquide et s’appuya tout d’un coup sur la paroi. Obéron escomptait que la cloche déséquilibrée par ce mouvement tombe à terre tandis que le socle-bouchon resterait à sa place. Mais le tube de verre ne bougea pas d’un pouce !

Sans doute était-il coincé par un mécanisme invisible de l’intérieur.

De rage, Raphaël frappa un grand coup de poing contre le fond de la cloche. Il allait recommencer quand il vit une forme bouger de l’autre côté de la paroi de verre : une personne venait d’entrer dans la pièce !

De son sexe il ne pouvait douter mais comme le verre était épais, Obéron ne distinguait que difficilement celle qui venait d’entrer en scène.

La femme semblait venir vers lui mais ses mouvements avaient quelque chose de bizarre, comme s’ils trahissaient une nervosité, une angoisse.

Juste à ce moment-là des ombres passèrent devant la source de lumière rougeâtre à l’autre bout de la pièce. La femme s’éclipsa aussitôt pendant quelques minutes derrière le tube régénérateur le plus proche d’elle puis surgit à nouveau aussitôt après la fin des mouvements de l’autre côté de la pièce.

Ses mouvements s’accélérèrent. Comme elle semblait nerveuse ! Son regard ne quittait pas un seul instant la source de lumière de la pièce. Une porte ouverte peut-être ?

- Étrange ! pensa Raphaël en se laissant flotter de nouveau au milieu du tube. Que redoute-t-elle donc ?

Comme si elle était nerveuse à l’idée que quelqu’un la surprenne dans cette pièce !

La femme n’avait rien d’une infirmière. Il aurait plutôt dit qu’elle portait une combinaison de travail épaisse et sale.

Derrière l’épaisse paroi de verre, il constata sans trop de surprise qu’elle mettait son index devant sa bouche en le regardant avec fixité.

Surtout pas de bruit ? Mais pourquoi ?

Ses mains battaient l’air comme pour dire à Raphaël de se " poser " au fond.

La femme s’accroupit alors et activa quelque chose au niveau du cube de métal sur lequel la cloche était posée. Aussitôt des bulles commencèrent à sortir par la grille.

- Elle vide la cuve ! s’écria Raphaël, redoutant déjà l’instant où sa tête émergerait de " l’eau ". Comment cela allait-il se passer ?

Il se laissa descendre vers le fond du tube et, repoussant le moment de passer à la respiration aérienne, il se recroquevilla au maximum sur le fond jusqu’à ce que le niveau du liquide atteigne le sommet de son crâne.

Enfin, il inspira une dernière fois une goulée d’eau et prenant appel de ses deux pieds, il se propulsa vers la vie.

Adieu placenta de verre !

Dans un cri de douleur, Raphaël se releva à l’air libre.

Ce cri lui fit prendre conscience qu’il venait véritablement de vivre une nouvelle mise au monde : une sorte de cordon ombilical ; du liquide chaud et jaune, un peu comme du liquide amniotique ; une perte des eaux ; la position du foetus et le cri en respirant de l’air pour la première fois ! Cette abondance troublante de similitudes avec une naissance le bouleversa tant qu’il perdit connaissance.

*

Mais on me gifle !

La main de Raphaël se jeta sur celle qui l’avait giflé et l’empoigna fermement.

- Stop ! cria-t-il en ouvrant les yeux.

Celle à qui appartenait la main semblait soulagée de le voir reprendre connaissance. Elle resta quelques instants silencieuse puis dans un geste à peine poli, elle lui jeta une sorte de serviette éponge.

- Séchez-vous, vite, nous n’avons plus beaucoup de temps !

Muet, Raph saisit la serviette et obéit.

- Je m’appelle Géna, rajouta-t-elle en lui lançant une combinaison identique à la sienne. Même couleur, même degré de propreté, même quantité de trous !

- On se connaît ?

- Non, bien sûr !

" Qu’importe ! " semblaient rajouter ses yeux tandis qu’elle saisissait de la main gauche au creux de son épaule gauche la dragonne d’une sorte de mitraillette artisanale, l’enlevant sans bruit pour la reprendre de la main droite.

- Suivez-moi sans bruit, il nous faut rejoindre l’abri au plus vite. Nous y serons plus en sécurité, lui lança-t-elle en prenant de sa main gauche le bras de Raphaël pour le faire accélérer.

- Qu’ont-elles toutes à me prendre par la main comme un gamin, se demanda-t-il en rapprochant ce geste à peine maternel de celui de Crystaléa Lowen-Soissanth à son " réveil " dans le palais des songes ?

Serai-je de nouveau dans un monde virtuel ou est-ce enfin la réalité ? Oh ! Grand Univers, déjà des doutes ! Oh ! Gaïa épargne-moi cela ! pensa Raph en trottant derrière Géna comme il l’avait aussi fait avec Crystaléa.

Où est-elle à présent ?

Est-ce Géna ?

Est-elle restée là-bas près de la pyramide ?

Ou bien est-elle parmi ces corps, sortes de foetus adultes ?

Les pensées d’Obéron restèrent confuses tout au long de leur cavalcade dans un méandre de couloirs étroits bordés de longs tuyaux, d’échelles de toutes sortes, d’escaliers et de passerelles métalliques au-dessus de puits béants. Des lieux désaffectés, rouillés, crasseux, dégoulinants d’eaux putrides et même pour certains ayant semble-t-il essuyé explosions et tirs de fusils nourris.

Géna le tira de ses pensées en l’attirant derrière une lourde porte recouverte de métal qu’elle ferma à l’aide d’une grosse manivelle.

Une seconde porte aussi épaisse que la première à trois mètres de celle-ci et rien d’autre. Un sas ! Géna donna quelques tours de manivelle et la deuxième porte du sas se referma sur eux, dans une petite antichambre remplie de lits de camps.

Des portes comme celles-là, il n’en avait vu qu’une fois dans sa " vie " mais il aurait pu la reconnaître n’importe quand, fut-il même dans une autre dimension !

Il s’en souvenait parfaitement, même s’il savait qu’il s’agissait d’un implant dans un implant dans un implant…

C’était sur Terre, en 1995, une année qui n’avait existé que pour lui. Il passait avec Franck York et Gérald Lock une semaine organisée de ski de fond dans le Jura suisse. L’abri antiatomique de l’hôtel servait de local à ski. C’était la première et la seule fois qu’il avait eu la possibilité de visiter un abri antiatomique. En fait il avait même été contraint d’y dormir une nuit à cause d’une très mauvaise blague de ses amis, encore étudiants à cette époque-là.

Mondieu, que l’implant était précis !

C’était donc à cette occasion qu’il avait ouvert et fermé de nombreuses fois des portes identiques à celles-ci. Sous le métal, vraisemblablement vingt centimètres de béton au moins. Peu de doute à avoir sur la nature de sa fonction et le rôle de leur " abri ".

Entre la salle des tubes régénérateurs et leur cachette, il avait déjà émis cette hypothèse. L’allure de cet endroit n’avait maintenant plus aucune autre cause que sa fonction : protéger un petit groupe d’hommes et de femmes contre les radiations mortelles d’une bombe.

- Ici nous serons tranquilles pour un moment, souffla-t-elle en le tirant de son amertume sur la nature des hommes.

Ce n’est pas le grand luxe mais c’est certainement mieux que ce que vous avez connu dans la cuve !

De toute façon c’est tout ce qu’il nous reste…

*