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Premiers Doutes - Chapitre 41

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Chapitre 41 - En attendant l’étoile

41

En attendant l’étoile

- Où sommes-nous ?

- Si je le savais ! Je suis comme toi, Raphaël, je suis sortie de ces appareils de clonage et depuis je n’ai qu’un seul but : survivre !

Savoir si nous sommes encore dans le système solaire ou quelque part dans l’immensité du cosmos m’importe peu. Je ne sais même pas quand nous sommes.

- Dans l’espace ? Vous voulez dire que ceci est un vaisseau spatial ? Je croyais qu’il s’agissait d’un gigantesque abri !

- Dans l’espace, ça c’est sûr ! Pourquoi dans un abri, qu’est ce qui vous faisait penser ça ?

- L’épaisseur des murs, comme dans un abri antiatomique.

- C’est contre les effets nocifs des rayons cosmiques, je suppose. Je ne sais pas grand chose en fait…

Crystaléa ne put s’empêcher de montrer sa déception.

- Sais-tu au moins depuis combien de temps les Autres se servent des corps clonés pour survivre ?

- Non, mais à en juger par l’importance des installations et par la taille de cette nef, je pense que l’isolement a dû durer un demi-millénaire au moins.

Raphaël siffla.

- Pourquoi ce chiffre ? demanda-t-il captivé.

- J’ai découvert une fois un mur rempli de traits gravés. Je me trouvais dans une conduite d’aération aujourd’hui impraticable et au travers d’une grille, j’ai vu un homme venir graver un nouveau trait en psalmodiant " Encore une vie de plus à attendre l’étoile ". Cet homme était un Orige pas un clone.

J’imagine que ce qu’ils entendent par " vie " est en fait la période pendant laquelle leur âme incarne un corps… un corps cloné à partir du leur au début de leur isolement ici. Chaque clone semble n’être en effet utilisé que par un seul Autre pour une vingtaine d’année seulement. À en juger par l’aspect physique des Autres, je suppose que ce doit être le maximum qu’on puisse tirer de ces corps malgré ces épais murs…

Géna colla son menton contre sa poitrine et regarda son corps comme s’il lui était étranger.

Obéron fit le calcul mental.

- Tu as donc pu voir environ vingt-cinq traits sur le mur, n’est-ce pas ?

- Trente. Mais rien ne dit que la durée d’utilisation de ces corps fut constante depuis le début.

- Depuis cinq cents ans, s’il s’agissait d’un abri antiatomique enterré ou aux fonds des mers, ils auraient en effet largement pu remonter en surface, non ? remarqua Crystaléa en remontant sur elle la couverture. C’est un point en défaveur de l’hypothèse de l’abri.

Obéron se leva et fit quelques pas.

- À moins que la Terre ait été rendue invivable… Complètement stérile.

- Vos hypothèses sont inutiles, je pourrais vous montrer des parties de cet engin sans équivoque sur sa vraie nature et puis il y a cette histoire d’étoile. Il est clair pour nous que ce vaisseau a pour destination une étoile, dotée d’un cortège de planètes hypothétiquement habitables.

Géna chercha à regarder Obéron dans les yeux.

- " Attendre l’étoile " répéta-t-il les yeux mi-clos, le front baissé vers le sol crasseux.

- Tout ici me faisait penser aux abris antiatomiques que j’ai connus dans le monde virtuel TERRE 1997. Et puis être dans un abri est tellement plus réconfortant qu’être au beau milieu du cosmos…

- Je comprends votre déception, mais laissez-moi vous raconter ce que je sais.

Géna releva la tête et se rendit compte que les amants virtuels redressaient les épaules et tournaient la tête vers elle en même temps comme mus par un même marionnettiste. Ils la fixèrent avec intensité. Leurs corps musclés moulés par leurs tristes combinaisons semblaient prêt à un combat.

- Ce vaisseau géant devait emporter un équipage vers une étoile et l’atteindre vraisemblablement au bout de plusieurs siècles de voyage intersidéral.

- J’ai lu pas mal de projets là-dessus dans mon monde virtuel, l’interrompit Obéron. On y disait souvent que pour atteindre les étoiles il fallait soit hiberner soit engendrer et engendrer sans espoir de voir soi-même l’étoile et son supposé cortège de planètes.

- L’hibernation n’est qu’un mythe, nous l’avons peut-être fait en rêve dans les cuves, mais dans la réalité, cela doit être autre chose ! Reste donc la solution des générations d’équipage. C’est l’hypothèse la plus plausible quand on sait comment étaient faites les parties les plus détruites de ce lieu.

Elle s’arrêta un moment avant de poursuivre. Ce qu’elle allait annoncer ne lui faisait pas plaisir.

- Il a dû se passer quelque chose dans le vaisseau car une partie de l’équipage a dû périr et les survivants devenus stériles n’auraient trouvé que ce clonage pour atteindre l’étoile.

- Mais Géna, s’ils avaient réussi à faire des clones d’eux mêmes, l’interrogea Obéron, et à les éduquer sous cyberespace, ils l’avaient leur équipage de relève ! Et quand bien même celui-ci serait stérile lui aussi, ils auraient pû se perpétuer ad vitam eternam sans jamais recourir à la fécondation !

- Et renoncer à poser le pied sur la planète tant attendue ? C’est oublier qu’il s’agit d’anciens terriens !

Cette réponse sarcastique sembla satisfaire Obéron mais une autre question germa aussitôt dans son esprit.

- Bon, admettons ! Tu as néanmoins encore une explication à nous donner : si tu es bien un clone comme nous et que nous sommes tous les clones des membres de l’équipage, comment es-tu sorti de ton caisson ?

Géna attendait visiblement cette question.

- Il faut que je vous raconte ce qu’il m’est arrivé avant de pouvoir vous enrôler pour libérer les derniers clones bêtas.

Géna se racla la gorge, regarda ses compagnons et reprit d’une voix triste.

- Tout d’abord laissez-moi vous expliquer comment fonctionne leur " système d’entretien corporel ". En premier lieu, il y a ce qu’on appelle la Ruche. C’est là qu’ont été fabriqués puis congelés tous leurs embryons clonés. C’est une grande salle où sont rangées bien ordonnées des dizaines et des dizaines de conteneurs remplis de cryotubes contenant leurs cellules embryonnaires. C’est leur trésor… Aussi est-ce une zone hautement surveillée.

À côté de ces conteneurs à -170°C, se trouvent les isolateurs. Leur forme et leur empilement rappelant tout à fait l’aspect des alvéoles d’un rayon de ruche, ils ont appelé ce lieu " la Ruche ". À vrai dire, ce nom lui va comme un gant, car à l’instar d’une ruche d’abeille, chaque alvéole de la Ruche héberge véritablement une larve. Une larve humaine s’entend : foetus et embryon, à l’abri en caissons amniotiques étanches, dans la pénombre comme dans le ventre d’une mère.

Régulièrement, les Autres déposent les oeufs clonés de leur corps dans ces alvéoles et les plongent dans un liquide nourricier qui les maintient en vie jusqu’à terme. Au bout des neuf mois de gestation extra-utérine, ils transfèrent ces clones " bébés " dans des cuves exactement semblables à celles dont on vous a extraits, plongés dans du liquide respirable et branché sur leur ordinateur producteur de rêve.

Ces cuves sont dans différentes salles ou clonerie. Tous les clones d’une même salle sont au même stade de développement.

Les clones alphas sont les clones arrivés à maturation qu’ils utiliseront pour leur prochain " transfert ". Les clones bêtas sont les futurs alphas. Viennent ensuite les gammas, etc.

Comme Seth et Héléna, je suis une des dernières clones alphas vivant dans le vaisseau qui ne soit pas encore passé à trépas, au combat ou sur le billard du psycho-greffeur. Les autres clones alphas sont tous sans exception, soit incarnés par les Origes, soit morts dans les derniers combats qui ont eu lieu entre clones et Origes.

Je vais vous expliquer l’origine de ces combats plus tard. Sachez que le dernier fut terrible. Seth, Héléna, Angus, Aurore et moi en sommes les seuls survivants. Heureusement que tous les clones n’y ont pas participés. Angus et Aurore sont comme vous de la deuxième génération…

Maintenant il me faut revenir à votre question. Hélas, je ne pourrai y répondre, je ne sais pourquoi c’est arrivé mais un jour, je me suis réveillée dans une cuve avant " mon heure ".

Un défaut de fonctionnement de l’ordinateur pendant quelques nanosecondes peut être, on ne saura jamais. De toute façon, cela n’a pas réellement d’importance.

Géna s’arrêta une seconde pour vérifier que son auditoire était toujours concentré.

- Après plusieurs heures, reprit-elle, ne voyant personne venir, j’ai réalisé qu’il fallait m’échapper de là au plus vite. Mon séjour dans le cyberespace TERRE 1990 m’avait suffisamment éduqué pour comprendre la finalité d’un tel mécanisme.

Finalement après plusieurs minutes d’effort, je parvins par miracle à faire tomber la cloche sans la casser.

Ensuite, la chance ne m’a pas quitté, je suis tombé au gré des couloirs sur une vieille salle destinée autrefois à la fabrication de vêtements puis sur un stock de vivres et de médicaments.

J’emportais tout ça dans une partie désaffectée du vaisseau où ils ne viennent jamais, c’est à dire ici bien sûr.

Quand mon " heure " arriva, la Géna numéro 1 fut donc en situation dangereuse. Son corps allait la lâcher, son clone alpha était en fuite, cachée quelque part dans le vaisseau et son clone bêta n’était pas prêt, trop jeune pour un transfert.

En effet, j’ai omis de vous dire que ce transfert aussi incroyable qu’il soit, nécessite de disposer d’un corps ayant au moins l’âge qu’avait l’Orige en montant à bord de ce vaisseau.

Cette condition sine qua non me vint aux oreilles un jour, alors que j’épiais des Origes, cachée dans une conduite d’aération menant à leur salle des vivres. J’ai surpris la conversation de deux hommes qui parlaient de mon Orige, dite Géna 1. Ils m’apprirent que mon réveil inexpliqué avait mis celle-ci dans une situation très grave : son corps allait mal et il lui fallait bientôt changer de corps. Et je les ai entendu jurer à propos de cette condition insurmontable qui empêchait Géna 1 de se transférer dans Géna 3, mon clone bêta.

Depuis qu’ils avaient découvert que moi, son clone alpha, était en fuite et cachée quelque part dans l’immensité de ce vaisseau, Géna 1 avait presque sombré dans la paranoïa.

Elle ne faisait plus confiance à personne, hormis à deux de ses amis qui l’aidaient vingt-quatre heure sur vingt-quatre à me chercher.

La chance qui m’avait accompagné jusque-là tourna malheureusement en faveur de l’autre Géna : la conduite dans laquelle je rampais céda sous mon poids et cassant en deux, me laissa tomber à leurs pieds.

Il ne s’en serait pas fallu beaucoup pour que tout rentre dans l’ordre pour Géna 1 pourtant il n’en fut rien. Étaient-ce de faux-amis ou étaient-ils idiots, je n’en sais rien, mais le fait est qu’ils restèrent là suffisamment longtemps sans rien faire pour que je comprenne que tout n’était pas perdu. Je mis à profit leurs quelques secondes de stupeur pour m’enfuir à toutes jambes.

Bien sûr, en me voyant courir ainsi ils réalisèrent que je n’étais pas Géna 1, la paranoïaque, les épiant du haut de cette conduite mais bien la mystérieuse clone affranchie.

La course poursuite dura un bon moment. Géna 1 ayant été avertie, elle me tendit une embuscade près de la passerelle 52 que nous avons traversé tantôt.

Nous nous battîmes comme des furies. Il ne pouvait y avoir qu’une Géna…

*

Clone-Géna leur raconta qu’elle ne sut jamais pourquoi les deux " amis " de Géna n’avaient pas essayer de les maîtriser plus tôt. N’étant pas vêtues de la même façon, il eut été facile de les distinguer.

L’Orige, n’étant plus très robuste, le combat avait tourné rapidement en faveur de la clone. Bien que possédant une vitalité maximale, celle-ci faillit néanmoins y laisser la vie en même temps que sa " mère " quand leur lutte les entraîna sur une partie de la passerelle dont les gardes-fous rouillés étaient dangereusement démis.

Au moment où Géna 2 dominait Géna 1 tombée à terre, resurgirent les deux autres Origes armés de pistolets. Plusieurs de leurs balles sifflèrent au-dessus de leur tête avant qu’ils ne lui demandent de se rendre. Mais comprenant qu’ils ne pouvaient courir le risque de les tuer toutes les deux, Géna 2 empoigna sa jumelle et s’en servit de bouclier pour leur filer une fois de plus sous les doigts.

Géna 1 voyant ces dernières chances de la battre s’effacer se démena et sauta sur sa " cadette " avec l’énergie du désespoir. Une lutte sans merci s’engagea à nouveau entre les deux femmes au milieu de la passerelle surplombant le vide. Les deux Autres ne savaient plus trop qui était qui dans la mêlée et n’osaient plus tirer.

Ce qui était prévisible arriva. Avant même qu’ils puissent intervenir pour les empêcher de se tuer mutuellement, ils furent témoins de leur chute dans le vide. Dans la bagarre, l’un des gardes-fous rouillés de la passerelle avait cédé !

Par miracle, la combinaison de Géna s’accrocha à une armature de fer qui dépassait des parois trente mètres plus bas. Géna 1, elle, n’eut pas autant de chance et alla s’écraser cent mètres plus bas.

Son petit miracle avait échappé aux Autres et quand ils descendirent dans le puits, Géna 2 était parvenue à se laisser chuter sur une autre passerelle trois mètres plus bas. Malheureusement les tenues des Géna étant différentes, il lui était impossible de profiter que Géna était inidentifiable pour leur faire croire qu’elle était Géna 1.

Apercevant clone-Géna qui s’enfuyait, ils tirèrent sur elle mais la ratèrent. La chance était de nouveau avec elle et elle finit par les semer.

- J’ai donc longtemps vécu terrée dans ces sous-sols du vaisseau depuis que j’ai compris la raison de mon existence. La mort de Géna 1 avait excité la haine des Autres et j’ai longtemps souhaité ne pas tomber sur eux !

Finalement, après une longue claustration méditative, j’ai decidé de lutter… Tôt ou tard ils m’auraient fait la peau. Ma seule chance était, je le croyais alors, qu’ils nous cèdent à nous les clones, leurs descendants, le droit à la vie.

Ma première action de résistance fut de leur couper les " vivres " en sabotant l’accès à leur laboratoire et en donnant une âme à plusieurs de leurs clones a . Ma seconde action de résitance, c’est vous. Vous ne pouvez imaginer à quel point j’ai eu du plaisir à libérer les clones qu’ils n’ont pas encore souillés !

Après cela, je formais avec plusieurs autres clones un groupuscule de résistance et des combats éclatèrent rapidement entre nous et les Autres.

Notre communauté s’agrandit rapidement et Daazu devint notre chef. C’était un homme loyal et courageux, nous mourrions tous pour assurer la survie du groupe s’il l’ordonnait.

D’abord effrayé par notre arrivée et la vitesse à laquelle notre population occupait un territoire croissant, l’équipage original du vaisseau s’arma pour nous éliminer et récupérer le laboratoire. Des combats violents éclatèrent et les pertes furent importantes de part et d’autre.

Géna ferma un instant les yeux et soupira. Comme Daazu le lui avait conseillé, elle devait tout leur dire, aussi reprit-elle son récit pénible.

- L’ennui à présent qu’ils sont organisés, c’est qu’ils savent ce que l’on a déjà réussi à faire et se doutent de ce que l’on vient de faire. Vous avez eu de la chance que je puisse vous libérer. Maintenant je sais que je ne pourrai pas libérer beaucoup d’autres clones b comme vous.

En plaçant les deux cadavres de clones récupérés sur le champ de bataille, nous avons pu éviter qu’ils ne se doutent de votre présence ici. Quand ils s’apercevront de la substitution, ils nous maudiront et nous avons intérêt à être prêts à les recevoir !

- Où sont Daazu et tous les autres ? se risqua à demander Lowen-Soissanth.

- Ils ont fait diversion pendant que Seth et moi étions chargés de libérer d’autres clones, des hommes en premier pour remplacer ceux morts dans les premiers combats. Mais leur diversion n’a trompé personne et ils nous a averti de nous contenter des clones déjà libéré pendant leur manœuvre car une partie de l’équipage original se dirigeaient vers le labo.

C’est ainsi que j’ai libéré trois clones dont Raphaël et que Seth a opté pour Léa dont le caisson dysfonctionnait. Vous êtes tous deux issus des deux premières cuves de la salle n°2. Seth et moi sommes de la n°1.

La salle n°1 correspond aux clones en attente d’être utilisés, la n°2 aux clones bêtas qui sont presque " mûrs ". Et la n°3 correspond à la Ruche, leur rappela-t-elle.

- La Ruche… répéta Obéron d’une voix basse et tremblante, imaginant celle-ci suintant un miel amniotique.

*

Quand à leur tour, Obéron et Lowen-Soissanth racontèrent leur aventure, Géna eut du mal à en saisir le sens.

Leur interprétation des faits lui fut difficile à admettre. Et comment aurait-il pu en être autrement !

Leur voyage à travers des mondes virtuels gigognes était extraordinaire et à la fois incroyable ! Et surtout, ils lui avaient fait une bien étrange révélation : ils étaient persuadés d’être encore dans la virtualité ! " Ce n’est pas logique que le hasard les ait réunis à chacun des mondes qu’ils avaient parcourus ! " Voilà tout ce qu’ils se bornaient à répondre pour justifier leur folie !

*