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Premiers Doutes - Chapitre 49

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Chapitre 49 - Menus

49

Menus

Confortablement installé sur une couchette ergonomique flottant à un mètre de hauteur, Aram tourna son regard vers le plafond de la bibliothèque du Temple. Un grand rectangle de lumière rose pâle à un mètre cinquante de sa tête semblait attendre quelque chose de lui.

Obéron articula mentalement les mots " MONDES VIRTUELS " et l’écran se remplit de caractères blancs lumineux.

Il reconnu devant lui un menu des plus classiques :

    • Définition simple ;

    • Définition encyclopédique ;

    • Historique ;

    • Exemples.

Son curseur mental se déplaça sur la ligne " définitions simple ".

Monde virtuel : (Syn. : Cyberspace, Cyberespace, Cybermonde, Univertuel, Univers virtuel, Hypermonde) Espace de données définies par ordinateur et n’ayant d’existence que par celui-ci.

La norme ISO 2198-33 reconnaît 3 sortes de cyberespace :

A : accès gratuit à tout public : enseignement, culture, tourisme d’état…

B : accès payant à tout public : éducation, jeux, culture, tourisme, cybersexe…

C : accès réservé aux scientifiques enregistrés aux cyber-ordonnanciers permettant d’accéder aux cybermondes pour la recherche scientifique, contient le gigascope, l’ultrananoscope virtuel…

D : accès réservé à l’état ou à des sociétés privées. Toute personne non autorisée se branchant dessus se fera " griller ". Réglementé par les lois sur la propriété privée. Concerne la recherche prospective de défense et d’attaque (non officiel) estimation du futur (élection…).

Obéron cliqua mentalement sur les mots en gras " Cyber-Mondes Pour La Recherche Scientifique " et une liste s’afficha dans une nouvelle fenêtre :

  • Modélisations scientifiques ;

  • Hypothèses vie extra-terrestre ;

  • Théories cosmologiques ;

  • Voyage fantastique virtuel ;

  • Au cœur de l’atome.

Sa curiosité le poussa à explorer les autres mondes proposés avant de revenir sur celui qui l’intéressait vraiment.

Cyber mondes éducatifs

  • Géographie ;

  • Géologie ;

  • Histoire ;

  • Économie ;

  • Sciences Biologiques ;

  • Chimie ;

  • Sciences Physiques ;

  • Cosmologie ;

  • Planétologie…

Cyber mondes touristiques

  • Mondes ayant réellement existé (voyage temporel virtuel)

  • Mondes actuels réels et irréels (lointains, extra terrestres (bases lunaires..)

  • Mondes Irréels (contes, légendes, mythologie, littérature,…)

*

Sans s’en rendre compte, il avait passé sa journée à naviguer dans la grande encyclopédie interactive multimédia de KREYG.

Calé dans sa position allongé à la manière des astronautes attendant " Ignition ", il avait dévoré de nombreuses " pages " de la G.E.I.M. ou Gemme, comme aimait la surnommer Schéma avec humour.

Encore plein d’énergie, il sauta avec souplesse de la couchette ergonomique autosuspendue. Un petit étirement et les mains dans les poches, il se dirigea vers le salon principal du Temple. C’est en sifflant qu’il arriva en pleine conversation entre Schéma, Fiona et KREYG. En fait, c’était la première fois qu’il voyait son visage.

À vrai dire, il n’y avait rien d’autre à voir de KREYG que ce visage bleu sans sourcils qui muet observait Schéma et Fiona avec attention. Obéron ne s’étonna pas de voir KREYG en retrait de la conversation. La convivialité n’était pas une de ses prérogatives majeures.

-… ce monde n’est une prison que pour moi,

Léa ! disait Schéma qui s’était plié au désir de Crystaléa de garder son nouveau nom. Vous, vous avez la liberté d’espérer vous en sortir. Vous, vous ne serez jamais touchés par le syndrome Bêta. Vous vous sentez enfermé, mais vous avez l’espoir, que je n’ai pas, de vous réveiller. C’est un rêve pour moi !

Prononcé par lui, le mot rêve sonnait d’une bien étrange façon. Imaginer qu’elle ne vivait cet univers qu’au travers du rêve assisté par ordinateur était en soit difficile, mais imaginer qu’une âme prisonnière d’un ordinateur pouvait y rêver troublait davantage Léa.

- Le syndrome Bêta ? finit-elle par lui demander.

- C’était de la science-fiction jusqu’à ce que je sois conçu. C’est le nom qu’ont inventé certains auteurs de science-fiction pour désigner l’ensemble des troubles rencontrés chez un clone, un double. Il fait une fixation sur son identité, pour lui il est l’original, l’Alpha, pas le Bêta. C’est au-dessus de ses moyens d’admettre qu’il n’est qu’une copie !

Pour me créer, on a procédé à un clonage cybernétique. Je suis donc la copie informatique d’un être qui existe dans la réalité. C’est mon alpha. Et il m’a fallu très longtemps pour admettre que je n’étais pas lui, enfermé comme vous dans un monde de RAO.

- Je ne veux pas jeter l’huile bouillante sur la plaie mais je ne comprends pas ce qui te rend tellement sûr d’être le Bêta, osa Aram qui s’était installé sur un divan romain à l’instar de ses compagnons, à l’acception de KREYG bien sûr, dont le masque-visage d’un mètre cinquante flottait dans l’air diamétralement opposé à ses amis par rapport à la mosaïque qui ornait le sol au centre du salon.

- C’est simple, j’ai rencontré mon Alpha dans ce monde et surtout, ma connexion avec KREYG n’a de sens que si je suis une partie des données qu’il contient dans ses mémoires de masses classiques. Les pouvoirs que j’ai ici, tu ne les as pas…

Aram dodelina de la tête puis il ferma les yeux pour éviter le regard de Schéma.

- Ça me rappelle Génération Proteus, un surprenant film de science-fiction de 1977, qui racontait l’extraordinaire histoire d’un ordinateur, Proteus IV de l’institut Icon. Il est l’ordinateur le plus perfectionné au monde, non seulement parce qu’il accumule dans sa mémoire une somme exceptionnelle d’informations mais aussi parce qu’il manifeste rapidement une véritable indépendance vis à vis de ses créateurs.

Dans ce film, ce superordinateur ou plutôt cette intelligence artificielle y avait l’impression d’être " quelqu’un ", enfermé dans une boite et demandait quand on allait le sortir de " là ".

Schéma tourna son regard vers l’horizon artificiel de son monde pour échapper aux yeux violets de Léa.

- J’imagine la souffrance que tu endures en nous voyant. Ce doit être une sorte de supplice de Tantale. Tu dois nous envier, je suppose…

- Pour échapper à ce syndrome Bêta, je suis obligé d’inventer toutes sortes d’artifices cybernétiques et ce, tous les jours qui résonnent dans ma tête au rythme du Grand Quartz de KREYG.

J’ai mis très longtemps à créer toutes ces choses que vous voyez autour de moi. Heureusement mon créateur m’a donné naissance après avoir construit une maison pour moi, dans une poche de cyberspace réservée à mon usage.

Vous le savez, l’univertuel m’offre tant de possibilités… C’est une bénédiction pour moi de ne pas en être totalement l’otage.

Souvent je trouve qu’il faut comparer son invention à la découverte du feu à l’âge préhistorique. Je ne plaisante pas, Aram ! Les possibilités sont absolument infinies ! En tant que savant… Traversé par une idée, Schéma ne termina pas sa phrase.

Obéron cessa de sourire, il entrevoyait à présent ce que son double avançait car devant lui était apparu un menu déroulant. La barre de défilement du menu, qu’il aimait appeler " ascenseur " dévoilait que la partie visible de la liste du menu était comme la partie visible d’un iceberg.

À mi-voix, il lut quelques lignes du menu :

- Astrophysique ; Génétique ; Femtochimie…

- Prenons l’exemple de la génétique, l’interrompit Schéma, cette discipline de la science tant controversée… Et bien sache que j’ai utilisé les données de KREYG sur ce sujet pour devenir un expert en matière de génétique et faire de nombreuses expériences modélisées. J’ai notamment appris pas mal de chose sur les mutations de mon génome qui me prédestineraient dans la réalité à de nombreuses pathologies et qui limiteraient normalement mon espérance de vie.

- Véritablement fabuleux ! lâcha Aram émerveillé par son double.

- J’ai été même beaucoup plus loin en regardant ce que faisaient les généticiens, enfermés sur " Terre 1997 ", sur les chimères obtenues par génie génétique. Regardez, j’ai réussi à créer des hommes poissons, des atlantes parfaits ! Je n’ai " mis en route " ces essais que quelques " instants machine " pour tester leur viabilité car autrement ils seraient devenus des " viris in machina ", comme moi, des souffre-douleur de Tyson.

Ma fantaisie m’a poussé à imaginer de nombreux mutants et je crois que je pourrais facilement adapter un homme à des conditions différentes des conditions normales de la vie s’il l’on me donnait les moyens de créer dans la réalité des machines capables de réaliser ce que j’ai fait ici.

- Est-ce vraiment possible ? Tout ceci n’est au fond que de la théorie. Ces mutants sont virtuels, Schéma !

- Oh ! oui, c’est réalisable ! Je n’ai créé ces mutants qu’en me servant de copies virtuelles de machines existantes ou fabricables dans la réalité. J’ai utilisé toutes les ressources de l’univertuel pour faire ces fantastiques avancées scientifiques et cela sans jamais franchir les limites éthiques de l’expérimentation puisque que rien n’est réellement vivant ici.

- Fantastique ! exulta Aram.

- Prenons un autre domaine. Tiens ! La Cybernétique, la Bioconnectique ou bien la Cryobiosynthèse. J’ai fait de nombreuses recherches dans ces domaines, qui équivaudraient à une centaine d’années humaines. C’est la supériorité du Virtuel ! Coupé de la fatigue, de la faim, j’ai pu me concentrer pendant un temps infini, doté d’outils cybers extraordinaire…

- Je sais, je vois ce que tu veux dire, les savants d’Utopia ont ainsi fait pour…

Obéron n’acheva pas sa remarque, il avait compris que cet événement avait été un " coup " de Schéma contre Tyson.

Il regarda Schéma avec gratitude. Celui-ci semblait parti pour un discours de savant génial subjugué par les progrès de la recherche scientifique accomplis dans l’univertuel.

- Sais-tu qu’un jour, je pense être capable de me synthétiser entièrement, molécule par molécule, pour devenir un homme vivant comme toi, fait de chair et de sang bien réels !

Mais en attendant mon " scaphandre moléculaire ", j’ai fait commencer la fabrication d’un cyborg par les soins de KREIG !

Obéron se frotta les yeux. L’image d’un drôle de robot à l’échelle 1 : 2 était apparue devant eux en semi-transparence à quelques centimètres du sol.

- Un jour que je fouillais dans ses archives, j’ai fait la découverte de plans de superpuces japonaises dans un coin de " sa " mémoire. Ces microprocesseurs sont fantastiques et j’ai utilisé un projet américain de robot pour faire mon cyborg.

Il ne manque qu’un maillon, et c’est le plus important : le transfert lui-même ! Je suis certain qu’un jour enfin je serais libre ! Indépendant et pourtant, grâce à mon corps de cyborg, toujours en communion avec KREIG !

Aram parut un peu sceptique.

- Comme tu vois, c’est génial tout ce qu’on peut trouver sur le réseau !

Des cyber-mondes où sont bloqués des cosmonautes dans leur vaisseau, des botanistes dans leur création d’éden…

*

Lorsque Léa revint de sa douche d’énergie, autre invention de Schéma à l’effet extraordinaire sur le moral et la forme, celui-ci avait déployé une nouvelle fois la carte de la base sous-marine.

Schéma avait rappelé la flèche-poisson. Il semblait concentré sur ses paroles et ne remarqua pas le clin d’oeil bouffon du poisson-flèche en direction de Léa.

- Voici la base Alpha-108 telle qu’on pourrait l’observer en ce moment depuis un sous-marin. Ici, la zone d’habitation, la zone d’activité industrielle et là, la zone de recherche. Là derrière, le KREYG auquel est accolé " la maison des transférés ". C’est là que reposent vos corps.

- Et ça, c’est quoi ? s’enquit Crystal en désignant un bâtiment qui dépareillait avec l’ensemble par son architecture un peu particulière.

C’était une sorte de rubis taillé enserré dans une pyramide tronquée.

- C’est le domaine de Tyson, ses appartements et son harem.

- Un harem ?

- C’est le tout-puissant de la base. Qui pourrait l’empêcher de réaliser ses fantasmes de mâle ?

- En effet, pourquoi se gênerait-il ? gloussa Aram avant d’essuyer un coup de poing au ventre.

Crystal remit sa main dans sa poche tandis qu’il cherchait sa respiration.

- Voici la tour Energy 2, reprit Schéma sans se soucier de la petite querelle dont il venait d’être le témoin. Elle est encore en chantier aux côtés de sa soeur jumelle, le prototype.

- Ce sont des centrales nucléaires ?

- Non, thermiques, elles utilisent l’effet Peltier pour produire l’électricité vitale à toute la base.

Crystal balaya le reste de la carte et s’adressa à Obéron :

- En somme, Alpha-108 est plus ou moins l’équivalent " d’une cité des étoiles " sous-marine et à l’américaine.

- On peut la voir ainsi, en effet reconnut Schéma en " repliant " la carte tridimensionnelle.

Un long silence passa avant que par curiosité ou était-ce pour rompre celui-ci Crystaléa demanda :

- Où dorment les gens de l’équipage du Nexus ? Sont-ils à nos côtés dans le bâtiment des transférés ?

- Non, ils ont leur propre biosphère à l’InterNasa, pas loin de vous sur la base Alpha, dans la partie qui, à l’origine, était entièrement consacrée à la conquête spatiale. Pourquoi demandes-tu cela ?

- J’aimais bien Géna, elle me manque un peu, comme toutes les amies que je me suis faites dans l’univertuel.

- Ah ! Je comprends, murmura Schéma sans trop insister. Évoquer Géna l’embarrassait toujours.

*

- Ah si je tenais celui qui a inventé la Neurotique ! rugit Obéron en crispant les poings.

- Qu’est-ce que tu lui ferais ? Il est trop tard pour changer les choses.

- Je l’étranglerais, ça me calmerait au moins !

- Alors étrangle-toi toi-même, car tu es cet homme !

- Moi ? s’écria Obéron en manquant de s’étouffer. Mais c’est impossible, je n’ai pas pu faire une chose pareille ! Qu’est ce qui m’a pris de chercher à transformer le cerveau humain en " disque dur " !

- Ah, pardon ! Tu n’as fait que développer la Neurotique, la science de la connexion homme- machine. Ce que la guerre et Tyson en ont fait, tu ne peux pas t’en rendre responsable !

Toi, tu as permis le voyage cybernétique, tu as permis à l’aveugle de voir à travers une caméra, tu es le dieu de la prothèse, le dieu Cyborg. Tu n’as rien à te reprocher, crois-moi !

Au lendemain de la guerre, tes connaissances étaient louées.

- Y a-t-il d’autres choses que j’ignore à mon propos ? demanda Obéron encore sous le choc.

- Oui, répondit son hôte laconiquement.

Obéron le dévisagea avec mécontentement. Il détestait quand Schéma ne répondait pas tout de suite, comme s’il le soupçonnait de préparer un nouveau mensonge.

- C’est toi qui t’es porté volontaire auprès de ton feu-collègue et ami, le professeur Zerepsberg pour qu’il réalise par IMRMN son premier et unique clone moléculaire cybernétique complet, c’est à dire moi !

Schéma le fixa du regard.

- Je suis ton clone, ton jumeau cybernétique !

Abasourdi, Aram regarda Schéma de la tête au pied puis s’avança vers lui aussi près qu’il put. Attentivement, il observa les traits de son hôte.

- Mais tu ne me ressembles pas !

- Je me suis fais faire des opérations virtuelles de chirurgie esthétique afin que personne ne soupçonne notre parenté, et en particulier Tyson !

- Mais pourquoi ?

- Parce qu’autrement, il aurait compris que mon cerveau étant une copie du tien, il pouvait " débloquer " ta mémoire et réaccéder à cette clé mentale !

- Mais c’est fabuleux !

Ne freinant pas sa joie, Fiona s’empressa d’aller embrasser à plusieurs reprises son époux et Schéma.

Enfin, elle comprenait cette amitié si forte et si spontanée qu’elle avait ressenti pour lui.

- En fait, ce que Tyson ne sait pas non plus c’est que j’ai piraté ses accès aux modules mémoires de KREYG, sourit-il. J’ai effacé des mondes virtuels sans intérêt et j’ai recopié la mémoire de Fiona juste avant qu’il ne l’efface et la transfère dans le virtuel.

Je vais pourvoir vous rendre la mémoire !

- Mais pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? C’est génial, il faut fêter ça ! s’esclama Aram.

À ces mots, Schéma signa et sourit jusqu’aux oreilles.

Une musique forte fit irruption dans la pièce tandis qu’elle se décorait de lanternes, banderoles et autres décorations de fête carnavalé. Schéma était en train de se déguiser en troubadour quand Aram fut pris d’un extraordinaire fou-rire. Suivi alors une explosion de joie et une rumba endiablée les fit danser toute la soirée.

*

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